Dans le n° 164-novembre 2024  - En réunion d'équipe...  17276

Qui dort dîne

C'est une préoccupation qui revient régulièrement dans les Ehpad : comment prendre soin du sommeil des résidents tout en préservant leur confort ? Entre les équipes de jour et celles de nuit, le sujet ne cesse de faire débat, et peut être source de tensions. Horaires de coucher et de lever, soins d'hygiène et accompagnements nocturnes... Qui fait quoi, quand, comment ?

Ambiance tendue en réunion de service. Après avoir abordé, dans le désordre, le service des repas (en salle à manger, dans le petit salon, en chambre, sur la terrasse, au fond du couloir... ah non, pas là !), les rangements (épicerie, linge, change, encore le linge, produits d'entretien, encore et toujours le linge), les soins et autres questions variées, nous en arrivons, enfin, au point critique du jour : le sommeil des résidents.

C'est Martine, la doyenne de l'équipe de jour, qui lance les hostilités.

- Le matin, quand on fait le premier tour, certains résidents sont trempés, ils grelottent de froid dans leur lit. Non seulement ce n'est pas confortable pour eux, mais en plus, ça nous rajoute du boulot : on prend beaucoup plus de temps pour la toilette, et il faut changer tous les draps. Et je parle même pas du risque d'escarre ! Alors bon, je sais bien qu'il faut laisser dormir les résidents, mais quand même, pas dans ces conditions !

Le brouhaha qui s'ensuit témoigne de l'importance du sujet. Pas plus tard que ce matin, c'est Monsieur Groseille qu'on a retrouvé penaud et transi dans ses draps mouillés, il n'avait pas osé se lever seul de peur de tomber et nous attendait impatiemment.

Les regards se tournent unanimement vers les soignantes de nuit. Le sujet revient régulièrement pendant les transmissions et, malgré de nombreuses discussions, nous ne parvenons à trouver aucun consensus. Laisser dormir les résidents ou les réveiller pour les changer ?

Sonia, visiblement agacée, réplique aussitôt :

- On passe trois fois par nuit dans les chambres. Certains se réveillent dès qu'on touche la poignée de porte, d'autres quand on s'approche du lit, et d'autres quand on soulève la couverture pour vérifier la protection. On a beau être les plus discrètes possible, il n'empêche, nos allées et venues incessantes les dérangent plusieurs fois par nuit. Alors oui, quand ils dorment profondément, si on peut éviter de les réveiller, eh bien on évite ! Et en fin de nuit, si le résident est installé confortablement et que sa protection n'est pas saturée, on se dit que ça peut attendre une ou deux heures de plus, jusqu'au lever.

- Mais vous passez dans toutes les chambres à chaque tour ? demande Camille, qui vient d'arriver dans l'équipe.

- Oui. C'est la consigne. On s'assure que tout le monde a regagné sa chambre, qu'il n'y a pas eu de chute... Le premier tour, c'est surtout pour dire bonsoir, voir si tout va bien, si quelqu'un a besoin de quelque chose. Le deuxième tour, ça prend plus de temps, parce qu'on a beaucoup de changes à faire, et on essaie de ne réveiller personne. Le troisième tour, on fait encore des changes, on discute un peu avec ceux qui sont réveillés, on s'assure du confort de ceux qui dorment encore... Et entre les tours, on ne chôme pas. Il y a l'épicerie à ranger, le ménage des parties communes, les petits-déjeuners à préparer... Vous, quand vous arrivez à 6 h 45, vous êtes toutes fraîches et toutes pimpantes mais nous, on est épuisées. Alors les reproches permanents sur untel qui n'aurait pas été changé ou unetelle qui a été réveillée par notre passage, c'est un peu difficile à vivre. On s'occupe du même nombre de personnes que vous, mais avec trois fois moins de bras !

- Ce ne sont pas des reproches permanents ! C'est juste que certains matins, on se demande si le dernier tour a bien été effectué ou... s'avance prudemment Martine.

L'équipe de nuit proteste bruyamment. Martine et Sonia échangent des regards noirs, tandis que Camille se ratatine sur son siège. Pour avoir déjà fait des nuits, je sais que certaines sont plus agitées que d'autres, et que les équipes du matin sont loin d'imaginer la charge de travail qui incombe à leurs collègues.

Dans son coin, Julie reste silencieuse. Elle n'ose pas encore prendre la parole pendant les transmissions, et encore moins en réunion. Je la sens pourtant bouillonner d'impatience, je le vois à ses doigts qui tapotent nerveusement la table. Je l'encourage du regard.

- Je ne sais pas vous, mais moi je mange rarement avant 19 h 30, se lance-t-elle. Mais je ne me couche jamais avant minuit, je suis incapable de dormir avant. Du coup, vers 22 h, j'ai un petit creux, alors je grignote un truc, un petit gâteau ou un carré de chocolat, avec une tisane. Forcément, je sais que je vais avoir envie d'aller aux toilettes après, alors j'attends encore un peu pour me coucher. Ici, les résidents sont servis à 18 h 30 pour les repas en chambre et à 19 h en salle à manger, à 20 h tout le monde a fini et à 21h presque tout le monde est couché. O n les accompagne en chambre sitôt le repas fini et on aide ceux qui ne peuvent pas se coucher seuls. Mais entre la soupe, l'eau et la tisane, c'est évident qu'ils vont avoir envie d'uriner en cours de nuit ! Sauf que la nuit, ils ne peuvent pas forcément se lever tout seuls, aller aux toilettes et revenir tranquillement dans leur lit. Déjà, s'ils se couchaient plus tard, ça serait plus simple non ?

- Mais nous, on n'a pas le temps de faire tous les accompagnements au coucher, s'offusque Martine. Viens faire les nuits avec nous, tu comprendras !

- Et si on servait les repas un peu plus tôt ? tente Camille.

- Non, ça ferait un jeûne nocturne beaucoup trop long jusqu'au petit-déjeuner, on ne peut pas faire ça, soupire la cadre.

Je bous intérieurement. Ces discussions, ça fait des années qu'on les a. L'heure du lever, l'heure du coucher, l'équipe de jour, l'équipe de nuit... On a essayé plein de choses, mais rien ne nous convient vraiment. Et ce sont les résidents qui en pâtissent.

Camille reprend la parole.

- Dans l'Ehpad où je bossais l'an dernier, il y avait une soignante de nuit spécialement attitrée à l'animation. Ceux qui n'avaient pas sommeil pouvaient la rejoindre au PASA pour regarder un film, faire des jeux de société, ou juste passer le temps en attendant le sommeil. La soignante était en pyjama, comme eux, ça créait une ambiance particulière, un peu comme à la maison. Elle pouvait faire quelques accompagnements plus tardifs au coucher, mais aussi servir les petits-déjeuners à ceux qui se réveillaient très tôt, ça évitait aux résidents d'attendre trop longtemps l'équipe du matin. Finalement, ça plaisait à tout le monde.

Silence en salle de réunion. Une animatrice de nuit, voilà bien une idée qu'on n'a pas encore essayée. Martine regarde Camille, qui regarde la cadre, qui griffonne quelque chose. L'idée semble lui plaire. Je souris. On va peut-être trouver un consensus.

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