Dans le n° 86-novembre 2017  - GESTION DES RISQUES  7608

"Il faut passer d'une culture du silence de l'erreur à une culture du signalement"

En matière de circuit du médicament en EHPAD, Jean-Yves Boussougan, ingénieur Gestion des risques en santé, et intervenant formateur en gestion des risques a vu le meilleur comme le pire dans les pratiques. Il reste néanmoins convaincu que des professionnels sensibilisés, informés et formés peuvent agir concrètement pour sécuriser le circuit du médicament et lutter contre la iatrogénie médicamenteuse. Interview.

Administrer le Bon médicament, à la Bonne dose, sur la Bonne voie, au Bon moment, au Bon patient. Quelles difficultés rencontrent encore les EHPAD pour respecter cette fameuse règle des 5 B ?

La lutte contre la iatrogénie médicamenteuse est une priorité affichée de santé publique depuis 2004 ! Et pourtant, La France est encore la championne européenne de la surconsommation médicamenteuse. De sérieux progrès restent à faire. Selon les études, 1 à 7 prescriptions sur 10 comportent une erreur. Il est dès lors essentiel d'intégrer que l'erreur fait partie du fonctionnement de l'être humain. (En moyenne chacun se trompe en moyenne 30 fois par jour, erreurs dans le cadre de la vie professionnelle et dans la vie privée). Il est nécessaire de continuer à développer les compétences gériatriques des médecins traitants pour limiter la survenue d'erreurs mais aussi pour adapter la prescription à la personne âgée (par exemples diminuer la posologie et adapter la forme galénique aux possibilités du résident). D'un point de vue organisationnel, on constate assez régulièrement l'absence de médecin coordonnateur ou une présence moindre dans beaucoup d'EHPAD. La liste préférentielle des médicaments en EHPAD n'est pas toujours présente dans les structures. On est encore dans l'ère de ce que je qualifie de "bouffage médicamenteux" avec huit lignes de prescription pour des résidents très âgés. Dans un EHPAD, une IDE va passer entre 50 et 80% de son temps autour, avec, pour le médicament. L'une des problématiques majeures, présentes à toutes les étapes de la prise en charge médicamenteuse est l'interruption de tâches. En moyenne un IDE est interrompue 8 fois par heure, et une seule interruption de tâche augmente le risque d'erreur de 13%. Je vous laisse imaginer ce qu'entraine la non-prise en considération de cette question !


L'obligation de déclaration des événements indésirables associés aux soins va-t-elle contribuer à développer la culture de sécurité et de gestion des risques liés aux médicaments en EHPAD ?

Oui, à condition de passer d'une culture du silence et du déni de l'erreur à une culture du signalement. Il y a une différence fondamentale entre erreur et faute. L'erreur est par définition involontaire. Les vraies causes sont à rechercher bien souvent au niveau de l'organisation même de l'activité. La déclaration des événements indésirables, des erreurs médicamenteuses ou des dysfonctionnements liés à la prise en charge médicamenteuse s'inscrit pleinement dans une culture de gestion des risques. La iatrogénie médicamenteuse n'est jamais due au hasard. L'objectif de la démarche de gestion des risques est donc d'analyser l'origine, les causes de l'erreur et de parvenir à mettre en place des actions correctives. Il est fondamental de ne pas mettre les pieds dans une démarche ayant comme objectif la chasse au responsable voire au coupable, qui consiste très et trop souvent à désigner le dernier maillon de la chaîne c'est-à-dire l'infirmière ou l'aide-soignant ou l'aide médico-psychologique qui s'est trompée dans l'administration du médicament. Ou du déni, de la politique de l'autruche, c'est-à-dire du "pas de signalement, je passe l'éponge" sans prise de conscience, sans se questionner sur l'organisation et les bonnes pratiques. J'ai pour habitude, lors de mes formations en EHPAD, de comparer cela à l'apprentissage de la brasse coulée sans lunettes de protection. Au départ, ça pique un peu les yeux ! La sécurisation du circuit du médicament ne vise pas le "zéro erreur" mais la réduction des risques d'erreurs. 40 à 60% des erreurs médicamenteuses sont prévisibles et évitables. Quand les professionnels en EHPAD sont sensibilisés, informés et formés, ils prennent conscience que la iatrogénie médicamenteuse n'est pas une fatalité et qu'ils peuvent agir, chacun à leur niveau et à toutes les étapes de cette prise en charge médicamenteuse. Toutefois, pour que cette démarche de gestion des risques portent ses fruits, elle doit être pluridiscipinaire. Or, l'analyse des événements indésirables liés aux médicaments est encore trop peu mise en oeuvre de cette manière en EHPAD. Chaque professionnel impliqué dans la prise en charge médicamenteuse doit pouvoir y prendre part : le médecin, le pharmacien, les IDE, les AS-AMP, l'encadrement et à un certain moment la direction de l'EHPAD, en s'appuyant, individuellement et collectivement sur la culture positive de l'erreur.

Les EHPAD sont-ils en mesure de réussir le cap de l'informatisation du circuit du médicament ?

L' informatisation du circuit du médicament n'est pas une réponse aux problèmes d'organisation et de pratiques des différents acteurs. Informatiser un circuit du médicament qui n'est pas clair, cela revient à majorer les dysfonctionnements, à renforcer les biais. Ce peut être pire que tout ! Quand la direction d'un EHPAD ne maîtrise pas toujours tous les détails de la réglementation, des dérives peuvent se mettre en place. Par exemple, un médecin traitant qui va donner son code personnel d'accès au logiciel de prescription pour permettre à l'équipe soignante de l'EHPAD de prescrire. Dans ce cas, l'outil informatique est dévié de son objectif de sécurisation pour devenir un outil potentiellement générateur de nouveaux risques d'erreurs. Et dans ce cas, chacun engage personnellement sa responsabilité. En effet, seul un médecin est autorisé à prescrire et toute retranscription des prescriptions, qu'elle soit manuscrite ou informatique, est interdite et illégale !

Quelles sont les précautions à prendre ?

Avant de déployer l'informatisation du circuit du médicament, l'établissement doit s'assurer de posséder les compétences humaines en interne pour accompagner le projet, s'interroger sur le hardware: combien y aurait-il de postes informatique par étages? Le serveur informatique sera-t-il suffisamment dimensionné ? Le wifi fonctionne-t-il correctement ? Quelle sera le degré d'adhésion des médecins traitants, des cadres, des soignants ? Si le projet n'est pas mûr, l'EHPAD risque de se retrouver rapidement avec un circuit papier et un circuit informatique en parallèle. Existe-t-il un accès informatique 24h/24 ? L'EPHAD peut-il compter sur des compétences métiers du système d'information ?

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