La déclinaison Ehpad du bilan partagé de médication peut être mobilisée par le pharmacien de proximité à l'entrée du résident en établissement ou pendant son séjour.

Le bilan partagé de médication : un nouveau levier contre le risque iatrogénique
Un avant/après Covid-19. Prévention, vaccination, accompagnement des patients, la nouvelle convention nationale des pharmaciens d'officine publiée par arrêté du 31 mars 2022[1] a considérablement élargi leurs missions. En dix ans, depuis la précédente convention de 2012, l'évolution de leur métier est spectaculaire.
Mais l'une de ces missions est un peu passée inaperçue, nichée dans une annexe XII « Bilan partagé de médication en Ehpad »...
Assorti d'une prise en charge de l'Assurance maladie, le bilan partagé de médication ou BPM existe depuis le 1er janvier 2018. Il s'est d'abord adressé aux patients de plus de 65 ans en affection de longue durée (ALD) ou de plus de 75 ans avec ou sans ALD et pour lesquels au moins cinq molécules ou principes actifs ont été prescrits, pour une durée consécutive de traitement supérieure ou égale à six mois. Ses objectifs ? Évaluer l'observance et la tolérance du traitement, identifier les interactions médicamenteuses, vérifier les conditions de prise et le bon usage des médicaments.
Un bilan précieux pour lutter contre le risque iatrogénique chez les personnes âgées, accru par leur vulnérabilité plus aiguë aux effets indésirables des médicaments.
Mais parce que le P de partagé supposait un duo volontaire pharmacien/patient en pharmacie, les résidents d'Ehpad n'y étaient pas éligibles - ils ne sont pas autonomes dans la prise de leur traitement. Jusqu'à un avenant conventionnel de novembre 2019, instaurant une déclinaison Ehpad du BPM à titre expérimental. Le BPM général y voyait quant à lui ses conditions desserrées avec pour cible désormais tous les plus de 65 ans souffrant d'une ou plusieurs pathologies chroniques et présentant au moins cinq molécules ou principes actifs prescrits pour une durée supérieure ou égale à six mois.
Une lacune définitivement comblée
La lacune est donc définitivement comblée par la nouvelle convention : le BPM/Ehpad est désormais défini comme « une analyse des traitements médicamenteux du patient âgé polymédiqué à l'entrée en Ehpad ou durant le séjour » avec une adaptation d'importance : « Ce bilan partagé est un accompagnement structuré autour des professionnels qui entourent le patient au sein de l'établissement. »
On voit évidemment le grand intérêt pour des résidents polypathologiques qui consomment, en moyenne, 8 à 10 médicaments différents par jour dont des benzodiazépines (hypnotiques et anxiolytiques) très pourvoyeurs d'effets indésirables.
Un préalable est impératif : obtenir l'accord du patient ou de son représentant légal pour réaliser le BPM et échanger sur les traitements qu'il prend avec le personnel soignant ou les proches. Le mémo de l'Assurance maladie[2] commence bien sûr sa présentation par là... Dans les faits, on le constate sur le terrain, le formalisme prend du temps.
La première année, le pharmacien réalise l'entretien de recueil d'informations avec le patient et l'aide de l'équipe de soins intervenant auprès du patient, les aidants et le médecin coordonnateur pour recenser l'ensemble des traitements prescrits ou non. Il effectue l'analyse de ces traitements, formalise ses conclusions et recommandations et échange avec les prescripteurs et le médecin coordonnateur puis avec le personnel soignant sur l'observance et la bonne prise des médicaments.
Les années suivantes, en cas de prescription d'un ou plusieurs nouveaux traitements, le pharmacien procède à l'actualisation de l'analyse initiale, organise un échange avec les prescripteurs sur le même mode que celui mis en oeuvre la première année, et assure le suivi de l'observance avec les professionnels encadrant le patient. En cas de continuité des traitements, le pharmacien procède à au moins un suivi de l'observance. Ses honoraires forfaitaires sont de 60 euros par patient inscrit en année N, 30 euros en année N+1 en cas de changement traitement, et 20 euros en année N+1 en cas de continuité des traitements. Après la réalisation de l'entretien initial, l'accompagnement peut se faire par télésoin.
Pharmacie- et Ehpado-dépendant
Cyril Colombani, porte-parole de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (Uspo), plaide pour la généralisation du BPM et la triple casquette de pharmacien référent, dispensateur de préparation de doses à administrer (PDA, Géroscopie n° 144) et réalisateur de BPM comme c'est son cas à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) où il exerce. Mais le bilan est chronophage et l'implication est très « pharmacie-dépendante » : situation géographique, démographique, financière...
Lui le pratique dans les trois Ehpad avec lesquels il travaille depuis plus de dix ans avec une proportion d'un BPM sur deux entrants. « Mais je suis dans un environnement privilégié, ajoute-t-il, tout le monde se connaît ici. » Un indiscutable atout, car, pour lui, l'idéal est de réunir les informations médicales en amont de l'entrée du résident en Ehpad « afin que les soignants ne soient pas obligés de travailler dans l'urgence ». Cela suppose un échange avec le médecin traitant, le médecin-co et l'infirmière coordinatrice... si tant est que l'Ehpad en dispose ! « Pour sécuriser le circuit du médicament et assurer une bonne observance des résidents, le pharmacien doit avoir des interlocuteurs avec qui travailler main dans la main... » Et là, c'est Ehpado-dépendant...