La digitalisation ne va pas manquer d'impacter les établissements médico-sociaux. Si certains l'envisagent comme une extraordinaire opportunité, d'autres " rechignent " à s'y engager tant le quotidien de la vie en EHPAD est déjà lourd de contraintes.

Des menaces écrasantes, des opportunités de développement

Pourtant, comme l'explique Bernard Bensaid, président d'Amapa, un groupe qui s'est justement construit autour de l'idée que l'innovation " pouvait sauver le système ", il est urgent de construire une barrière à ceux qu'il appelle les " nouveaux sauvages ", des plateformes de services qui en moins de 5 ans ont transformé le système. Doctolib est devenu le 1er opérateur de santé en France avec ses 45 000 praticiens recensés et ses 2 à 3 millions de visiteurs par mois.

Wehelp de son côté propose d'apporter une offre de mandataire à domicile en répondant sous 24 heures. Yoopies répertorie 20 000 aides à domicile pour des personnes âgées ou handicapées. L'entreprise qui exerce de manière libre et sans contraintes réglementaires est devenue l'un des plus gros opérateurs, en concurrence directe avec les acteurs traditionnels.

Autre effet de cette digitalisation, l'inversion des rapports de force. " Le pouvoir est redonné au client, qui note, commente directement sur les réseaux sociaux et peut en quelques clics ruiner une réputation. Nous devons apprendre à être évalués ", précise Bernard Bensaid. " Et pour aller plus loin, savoir et accepter que toutes nos actions, l'endroit où l'on se trouve, la durée de l'intervention sont connues en direct. Et ce même si cette impression d'être contrôlé ne va pas dans le sens de la bientraitance des seniors. "

A noter enfin que cette digitalisation souhaitée par tous (clients, tutelles, état, maisons de retraite, services...) car elle est censée apporter de l'efficacité au système va favoriser l'émergence de nouvelles marques, puissantes, et susceptibles " d'écraser les petites structures " qui n'auront pas la capacité de réagir.

" Pourtant ces nouveaux intervenants représentent une opportunité de réinventer nos métiers, de nous redéfinir, commente Bernard Bensaid. Nous pouvons dès lors insister sur la qualité de nos services et pourquoi pas imaginer des actions communes pour offrir les mêmes plateformes de services. Car si nous ne travaillons pas ensemble, nous risquons de devenir les sous-traitants de ces nouvelles plateformes. "

L 'usager au coeur de la réflexion

Pour Matthieu Faure, docteur en informatique, responsable du Living lab I2ML (Institut Méditerranéen des Métiers de la Longévité), " la révolution numérique est systémique. Elle bouleverse déjà l'ensemble de nos activités, l'important est d'en être conscient et de s'interroger sur ses usages ". L'innovation par l'usage est en effet l'un des fondements de ce laboratoire, qui a mis la co-conception, réalisée en pluridisciplinarité, au coeur de son fonctionnement. Partir des besoins de l'utilisateur final qu'il s'agisse d'une personne ou d'un établissement, pour concevoir des outils, des services ou des modes de travail aussi pertinents qu'adaptés. " La co-conception permet de gagner du temps et de réaliser des économies conséquentes ", précise Matthieu Faure. " Mais de plus en plus de directeurs ou de services commencent à considérer l'avis des personnes âgées. C'est une grande avancée. " Et pour aller plus loin, l'expert recommande de former et sensibiliser les directeurs comme les équipes au numérique, de toujours partir des besoins pour innover et d'arrêter de se voiler la face : " l'innovation existe. Si on ne fait rien, on aura perdu. "

Se former pour innover

D'ailleurs pour aider les directeurs à réfléchir et penser l'EHPAD de demain, et notamment développer les usages du numérique en santé, l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP) crée des dispositifs d'accompagnement. Elle propose ainsi un centre de ressources alimenté par la communauté de pairs et envisage l'instauration d'un groupe d'entraide thématique susceptible de répondre aux sollicitations des établissements.

" Le secteur médico-social n'est pas au niveau du sanitaire. Nous réfléchissons donc à la mise en place d'un plan de rattrapage ", indique Pauline Sassard, chef de projet à l'Anap.

L'innovation aurait donc de beaux jours devant elle...