Dans le n° 61-octobre 2015  -  Interview  4956

Répondre à la souffrance psychique des personnes âgées

Comment distinguer entre l'influence de l'avancée en âge sur l'expression des troubles psychiques et ceux émergeant avec le vieillissement ? Thierry Gallarda, psychiatre de l'adulte âgé, UF Centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement, Hôpital Sainte-Anne, Paris répond à cette question et évoque l'aide apportée aux personnels d'EHPAD.

M. Gallarda, dans quel contexte avez-vous été amené à vous intéresser aux personnes âgées ?

Je me suis intéressé à la question du vieillissement et des troubles mentaux après avoir fait un travail de recherche en 1994 sur la dépression des adultes âgés et ses liens avec la maladie d'Alzheimer dans le cadre d'un DEA. Cette question m'a intéressé fortement et j'ai continué mon parcours hospitalier en participant à la mise en place d'une structure appelée le "Centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement" qui a récemment été identifiée comme un service de psychiatrie en soi, en 2014, hébergé à l'hôpital Sainte- Anne.

L'objectif général est d'évaluer toutes les situations de souffrance psychique pouvant affecter des adultes âgés de plus de 60 ans ou moins âgés mais dont la problématique convoque un lien avec le vieillissement. Ce peut être le cas de patients développant des processus neurodégénératifs cérébraux ou ayant été victimes d'AVC avant la soixantaine, profondément éprouvés par l'expérience de la maladie et du handicap ou encore de patients indemnes de maladies organiques du cerveau mais confrontés à l'angoisse du vieillissement plus tôt que leurs congénères. A l'autre extrême des âges, nous recevons de plus en plus de patients très âgés (90 ans) vivant à leur domicile ou en institution exprimant plus volontiers la violence de la solitude et de la perte d'autonomie, la tentation suicidaire parfois, l'angoisse de la mort. Auparavant, mon sentiment est que nous ne voyions pas ou excessivement peu de patients aussi âgés. C'est un peu comme si, à l'heure où la société fait le constat de son inéluctable vieillissement, une parole se libérait.

Deux catégories de population viennent aux consultations de psychiatrie de l'adulte âgé:

La première est celle ayant souffert de troubles psychiatriques souvent éclos à la fin de l'adolescence ou au début de l'âge adulte (des personnes de 60 à 75 ans souffrant de troubles psychiques depuis plusieurs décennies) et qui avec l'avancée en âge se trouvent confrontées à des difficultés spécifiques, dont la perte d'autonomie par exemple soulève la question d'un hébergement en EHPAD auprès de populations sensiblement plus âgées et présentant d'autres causes de dépendance ou dont le trouble mental s'exprime par des symptômes inhabituels posant la question d'une pathologie associée (désorientation dans le temps ou l'espace, troubles majeurs de mémoire, difficultés à réaliser des gestes de la vie courante...).

Le personnel des EHPAD peut se montrer dérouté par ces résidents chez lesquels il y a parfois des difficultés à identifier ce qui relève des symptômes du trouble mental ou d'une autre pathologie comme un processus neurodégénératif débutant. Cela concerne principalement des adultes âgés atteints de schizophrénie ou d'un trouble affectif bipolaire dont le comportement peut désarçonner les personnels soignants.

L'autre population concerne des personnes n'ayant jamais eu de problème psychiatrique jusqu'à un âge certain et qui décompensent "tardivement", soit au départ à la retraite (pas mal d'hommes notamment) soit plus tardivement, au-delà de 80 ans, à un âge où se voient convoquées les questions autour de la perte d'autonomie et la confrontation avec des maladies somatiques douloureuses ou invalidantes (p.exemple, des déficiences sensorielles telles que la DMLA...)

Nous proposons une évaluation qui a l'originalité d'allier à la fois des évaluations destinées à diagnostiquer ou à éliminer d'éventuelles maladies cérébrales (neuro-imagerie, neuropsychologie, recours à une équipe de neurologues experts...) et un temps d'évaluation psychologique, plus spécifique de notre approche, car quelque soit la situation clinique, ces deux temps nous apparaissent primordiaux. Pour que le soin soit "efficient", l'idée d'associer les deux au sein d'un même lieu nous apparaît porteuse. Autrement dit, nous essayons de proposer une offre de soins alliant une certaine "technicité" au regard des standards actuels de la médecine à une " approche humaniste " où peut être déployée un temps suffisant d'élaboration de la signification des différents symptômes dans la vie actuelle et la trajectoire biographique d'un individu âgé.

Par exemple : Une patiente âgée de 75 ans, rapportant des problèmes de dépression et d'alcool chroniques, victime de chutes répétées, puis d'une fracture. En l'autorisant à revenir sur son passé et en l'aidant à retracer sa biographie, on s'aperçoit qu'elle a eu une enfance troublée avec des abus sexuels répétés dont les souvenirs traumatiques sont réactualisés par les questions autour de l'intimité et de la sexualité soulevées au cours des soins imposés par son impotence récente.

Les patients sont toujours vus seuls, puis s'ils en sont d'accord avec leur conjoint, leur partenaire de vie ou leur famille. Nous tentons de reconstituer le plus en détail possible leur parcours médical qui s'avère parfois long et complexe, leur parcours de vie qui ne l'est pas moins, en gardant toujours à l'esprit la nécessaire identification des relations ou de la résonance affective existant entre ces parcours et leurs plaintes actuelles. Cette mission est effectuée en grande partie par une infirmière clinicienne spécialisée qui pratique également certaines évaluations de dépistage et d'estimation de la sévérité des symptômes (p.exemple, abus d'alcool, dépression, idées suicidaires..). Puis, ils sont reçus en entretien par un psychiatre dont l'objectif sera de synthétiser l'ensemble des informations recueillies, de graduer les difficultés et de déterminer des priorités dans la prise en soins. Au terme de ces deux entretiens prolongés, selon les situations, des évaluations complémentaires peuvent être indiquées, tantôt pour explorer la question du vieillissement cognitif (évaluation neuropsychologique, imagerie cérébrale, avis neurologique), tantôt pour mieux appréhender la fragilisation psychique éprouvée avec l'avancée dans l'âge voire le grand âge. A la diversité des situations accueillies répond une diversité d'orientations, notre "credo" étant d'inclure nos consultants dans un parcours et un projet de soins les plus personnalisés possibles. A titre d'exemple: adressage aux services de psychiatrie de proximité ou à des collègues libéraux, inclusion dans des filières gériatriques, mise en place, dans certains cas, de prises en soins incluant plusieurs acteurs, neurologues, psychiatres, psychologues, ce qui impose une excellente coordination et un vrai travail d'équipe (cela concerne par exemple des patients présentant des processus neurodégénératifs compliqués de symptômes psychiatriques, notamment dépressifs).

Les axes du soutien aux familles et aux couples

Nous avons développé plus récemment une consultation de soutien spécifique aux aidants, familles ou conjoints. Toujours dans une perspective de gradation de notre offre de soins, ces interventions thérapeutiques vont de séances de psychoéducation (gestion des traitements psychotropes, analyse des symptômes de la maladie...) à des prises en charge familiales structurées. Selon ce modèle,

deux thérapeutes familiaux ont pu ainsi accompagner une famille en grande souffrance dont la mère souffre d'une maladie d'Alzheimer précoce et une de ses filles d'un trouble psychotique. L'émergence de symptômes d'affaiblissement cognitif chez un des parents peut venir désorganiser l'ensemble d'un système familial. Nous avons également une attention particulière vis-à-vis des couples souvent mis à mal par l'explosion psychique d'un des membres.

Comment répondre à la demande des personnels d'EHPAD confrontés aux situations de souffrance psychique de leurs résidents ?

La communauté hospitalière de territoire (CHT) qui regroupe l'ensemble des services de proximité de psychiatrie de la ville de Paris ainsi que plusieurs structures intersectorielles spécialisées, universitaires ou non universitaires, a engagé une réflexion active avec le Centre d'Action sociale de la Ville de Paris autour de l'amélioration des liens de partenariat entre les deux institutions. A l'aune des évolutions démographiques et du vieillissement des malades mentaux, les enjeux sont majeurs : comment améliorer la prise en soin psychique des résidents en EHPAD mais aussi comment faciliter l'admission en EHPAD des malades mentaux vieillissants présentant une perte d'autonomie ?

D'un côté comme de l'autre, les moyens ne sont pas extensibles : il faut penser de nouvelles organisations, partager des savoirs et des cultures communs, lutter contre les préjugés et la stigmatisation. Les retours que nous avons des personnels travaillant en EHPAD sont ceux d'une évolution sensible du profil des populations accueillies, plus précaires, aux parcours de vie parfois chaotiques, aux vulnérabilités accrues aux addictions mais aussi au risque suicidaire.

Quels leviers activer ? Le premier est assurément de sensibiliser les acteurs du soin psychiatrique aux spécificités de la souffrance psychique de l'adulte âgé. Pour ce faire, des références médicales, infirmières et sociales devraient être mises en place prochainement au bénéfice des adultes âgés dans chaque centre médico psychologique de proximité. Ces références permettront des réponses plus rapides qu'à l'accoutumée aux demandes émanant des personnels d'EHPAD. Un conseil téléphonique et la proposition d'une orientation rapide peuvent contribuer à dédramatiser des situations parfois débordantes pour l'institution. L'établissement d'un lien thérapeutique, même assez lointain, est un message rassurant pour les personnels comme pour les résidents. A l'inverse, ces partenariats permettront une maturation de la réflexion sur les conditions optimales d'accueil des adultes âgés confrontés souvent plus tôt que leurs congénères aux avatars de l'âge.

Les aides soignants n'ont pas de formation dans ce domaine ?

Très insuffisante alors que paradoxalement, ils sont au plus près de l'intimité des adultes âgés. De nombreux EHPAD ouvrent à Paris, notamment dans les arrondissements du sud de la capitale qui regroupent parmi les populations les plus âgées sur Paris et certaines données de l'équipe du CASVP estiment à 20% le pourcentage de résidents en proie à une souffrance psychique. C'est considérable et rend criant les besoins de formation de ces personnels mais aussi de temps de supervision. Comment identifier le résident à risque de passage à l'acte suicidaire au sein d'une majorité de résidents pouvant évoquer leur lassitude, leur solitude et leur " envie de mourir "...Comment accueillir certains comportements de désinhibition ou des propos autour de la sexualité au cours de certains soins suscitant la question de la proximité, du contact, de la régression. Les réponses ne s'improvisent pas toujours même si, en situation, les soignants ont souvent l'intuition du savoir être.

Depuis environ 4 ans, nous avons mis en place une formation sur deux sessions de 3 jours qui est destinée spécifiquement aux personnels non médicaux: "La souffrance psychique des adultes âgés : mieux la comprendre pour mieux l'accompagner".

Certains hôpitaux ont-ils mis en place des équipes mobiles de psychiatrie ?

Il existe en effet plusieurs dispositifs de mobilité dont les modalités de fonctionnement peuvent varier selon les caractéristiques des territoires desservis mais avec une philosophie commune qui de favoriser l'accès au soin : Certaines équipes psychiatriques se déplacent au chevet des résidents et auprès des équipes en EHPAD de même qu'elles se déplacent au domicile des patients (binôme psychiatre, infirmier ou plus rarement binôme psychiatre, psychologue). D'autres s'inscrivent dans des dispositifs de type hospitalisation à domicile (HAD) d'une durée de quelques semaines, au sortir d'une hospitalisation qui peut ainsi être écourtée, après un passage aux urgences n'imposant pas une hospitalisation ou après une consultation au CMP pour déployer un projet thérapeutique. C'est le cas par exemple de l'équipe PsyDOM qui fonctionne sur l'ensemble du territoire du 16ème arrondissement de Paris.

Le vieillissement de la population accentue t-il les problèmes psychiques ?

Les progrès de la médecine ont été tels dans les dernières décennies qu'il ne faut pas perdre de vue que de manière générale, on vieillit jusqu'à des âges de plus en plus avancés et de mieux en mieux. Néanmoins, dans un certain nombre de cas, pour de multiples raisons, l'entrée dans la vieillesse peut s'accompagner d'une intense déstabilisation psychique voire de l'installation d'états de souffrance psychique majeure: solitude torturante, lutte avec la maladie, deuils en série, blessures narcissiques souvent difficiles à surmonter...

Le fait nouveau me semble être une plus grande propension des personnes âgées à demander un soin spécialisé, psychiatrique voire psychothérapeutique.

La perte d'autonomie et en particulier celle d'avoir une maladie d'Alzheimer inquiète beaucoup les personnes très âgées qui se saisissent volontiers de ces peurs socialement répandues pour aborder d'autres angoisses, plus personnelles, s'inscrivant dans leurs trajectoires.

Les hospitalisations "traditionnelles", à temps plein sont en définitive assez rares, leurs indications doivent être mûrement réfléchies quand on sait le risque de régression et l'impact traumatique qu'elles peuvent avoir sur certaines personnalités vulnérables. Les soins sont dans leur grande majorité ambulatoires. Le sexe féminin est surreprésenté. Au-delà de la question de la dépression et du déclin des facultés de mémoire, les addictions occupent une place croissante. De même, la prévention du suicide, largement banalisée aux âges extrêmes, est un enjeu majeur de santé publique.

Votre unité répond-elle à un véritable besoin ?

Notre structure me semble répondre d'autant plus à un besoin qu'elle s'inscrit sur un site hospitalier dont les synergies entre la psychiatrie et les neurosciences sont "naturelles", permettant d'offrir aux usagers la possibilité d'un parcours de soins fluide et en parfaite cohérence avec la complexité des problématiques présentées. C'est notamment le cas avec l'équipe de neurologie de la mémoire et du langage du Pr Sarazin avec laquelle nous fonctionnons comme une plate-forme neuropsychiatrique. De fait, les liens entre psychiatrie et neurosciences constituent un des axes stratégiques majeurs du projet de soins de notre communauté hospitalière de territoire.

Bien sûr, la demande des usagers à titre individuel (les patients, leurs familles), des confrères ou des institutions dépasse largement la faiblesse actuelle de nos moyens en personnel mais le constat de l'efficience du dispositif sur le terrain est un puissant renforçateur positif !

Le CETPV (Centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement) est rattaché au pôle 16ème arrondissement de Paris (182 744 habitants) mais accueille des patients de tous les arrondissements et de l'Ile de France dans le cadre des activités spécialisées de recours du CH Sainte-Anne.

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