Julien Fayard a soutenu le 4 juillet un mémoire d'orthophonie sur « Le refus alimentaire chez la personne âgée en institution d'hébergement gériatrique : état des lieux des pratiques cliniques et pertinence de l'intervention orthophonique ».
Refus alimentaire : l'orthophonie, une ressource mobilisable
Le sujet est sensible et souvent déstabilisant, tant le refus alimentaire soulève d'enjeux cliniques et éthiques pour les équipes soignantes souvent démunies, qui méconnaissent la ressource mobilisable de l'orthophonie. Julien Fayard, étudiant en orthophonie à Besançon, a privilégié une approche terrain - le fait qu'il ait effectué des remplacements d'aide-soignant en Ehpad durant ses études n'y est pas étranger... Il a interrogé les équipes soignantes du centre gérontologique Sud du CHU Grenoble-Alpes (plus de 245 lits d'Ehpad et USLD à Echirolles), à l'aide d'un questionnaire qualitatif sur leur ressenti, leur charge émotionnelle, leur stratégie de prise en soin. Il a également mené des entretiens semi-dirigés avec des orthophonistes qui y interviennent.
Les résultats mettent en évidence la fréquence de cette problématique et son impact significatif sur les plans de soin. Les soignants interrogés évoquent des causes multiples au refus de soin alimentaire et soulignent la charge émotionnelle qu'il suscite. Dans ce cadre, l'intervention orthophonique est perçue comme pertinente, tant pour l'évaluation du résident que pour la participation à la réflexion collégiale. Ce travail souligne ainsi l'importance d'une approche pluridisciplinaire et ouvre des perspectives en faveur d'une meilleure implication du patient dans la construction de son projet de soin.
Nous publions ci-après un extrait de ce mémoire.
Trois types de refus
Le refus d'alimentation est un moyen pour la personne âgée d'exprimer une volonté, c'est parfois sa seule forme d'expression restante. Il est nécessaire d'interroger le sens mis derrière ce refus pour l'accompagner au mieux. « La compréhension de ce phénomène permettra aux soignants de ne plus souffrir de ces refus, de les accepter et d'aider le malade selon ses propres souhaits », écrit Monique Ferry, médecin gériatre et nutritionniste1.
On distingue trois types de refus induisant des enjeux éthiques distincts :
- Refus d'opposition : l'attitude signifie un refus, par exemple des conditions de vie (entrée en institution), de soins douloureux ou de prise en soin inadaptée ;
- Refus de résignation : refus de continuer, situation d'épuisement, sentiment d'inutilité ;
- Refus d'acceptation : acceptation du terme de sa vie qui permet à la personne de se réapproprier sa fin de vie.
Le refus peut être énoncé explicitement, ou en adoptant une attitude de refus sans l'exprimer avec des mots (fermer la bouche, repousser l'assiette avec la main, rétention buccale...)
Il ne signifie pas uniquement un arrêt de nutrition mais, écrit Laura Guérin, docteur en sociologie2 « s'inscrit dans un continuum allant de formes minimales de dépréciations du service de restauration jusqu'à des formes radicales du refus de s'alimenter, en passant par des modes intermédiaires qui consistent à refuser de manger une forme alimentaire particulière comme le mixé ».
Des causes multiples
Les causes d'un refus d'alimentation sont multiples et parfois étroitement liées, notamment en institution. Il est primordial de toujours rechercher une cause, surtout si elle est curable.
Cause organique : troubles de déglutition ; état douloureux ; pathologie buccale ou digestive ; médicaments anorexigènes ; apraxie buccopharyngée telle que celle retrouvée en fin d'évolution de pathologies neurodégénératives ou démentielles.
Cause psychiatrique : dépression sévère où le refus peut prendre l'apparence d'une tentative de suicide ; syndrome gériatrique de glissement dans lequel le refus alimentaire est un des premiers symptômes.
Cause socio-environnementale : un différend avec un proche ou soignant ; une opposition à une hospitalisation.
L'une des dernières formes d'expression
Les notions de sensorialité et de plaisir perçu peuvent également être évoquées dans les causes psychosociales et psychoaffectives du refus alimentaire de la personne âgée. S'alimenter est un acte essentiel dans le maintien de la vie. Le refus alimentaire peut être à la fois une ultime volonté de contrôle de sa propre vie, d'affirmer son choix, sa liberté, donc son existence. Il peut être également le signe d'une dépression, de la perte du plaisir de vivre qui peut être due à la perte des plaisirs de la vie, souvent liés aux afférences des organes des sens. Les perturbations sensorielles sont volontiers ignorées chez la personne âgée et il faut savoir les rechercher devant toute perte d'appétit ou troubles de la déglutition. En effet, les orthophonistes Virginie Ruglio et Philippe Penigault le soulignent3, il est trop fréquent d'imputer au seul vieillissement une anomalie des fonctions olfactives ou gustatives entraînant une anorexie. Le refus est l'une des dernières formes d'expression. Il est important d'y mettre un sens pour mettre en place un accompagnement adapté et individualisé. Il peut être l'expression d'une opposition de conditions de vie inacceptables, signe d'une difficulté ou d'un stress, mais également signe d'une volonté d'autodestruction ou d'un désir de mort. Dans ce cas, pour Monique Ferry, le refus exprime une perte de l'instinct de vie plutôt qu'une souffrance.
Dans tous les cas de refus d'alimentation, la capacité ou non de discernement du patient doit être interrogée car elle conditionne la suite de la prise en soin pluridisciplinaire. « En droit, la capacité de discernement consiste en l'aptitude à apprécier correctement une situation et à agir en fonction de cette appréciation. Il n'est pas nécessaire que la décision soit raisonnable, écrit la professeure de droit suisse Dominique Manai?4. Raisonnable...
Julien Fayard
1- Ferry M. (2009). Le refus alimentaire. Nutrition Clinique et Métabolisme.
2- Guérin L. (2018) « L'essentiel est qu'il(s) mange(nt). Participation sollicitée ou empêchée des résidents en Ehpad. Participations.
3- Durand T. (2021). Les multiples rôles de l'alimentation. L'Aide-Soignante.
4- Manai?, D. (1999). Les droits du patient face à la médecine contemporaine. Helbing and Lichtenhahn.
