Dans un rapport rendu public le 18 septembre, le président-fondateur de l'Institut Santé propose un nouveau modèle qui donne priorité à l'autonomie sur la dépendance, à la demande sur l'offre, au domicile sur l'Ehpad, avec une nouvelle gouvernance et un financement « dominé par l'instauration d'un système assurantiel public ».

Perte d'autonomie : l'économiste Frédéric Bizard plaide pour un big bang de la prise en charge
L'économiste Frédéric Bizard est président-fondateur du think tank l'Institut Santé dont il vient de rendre public un rapport décoiffant sur la refondation de la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées, le 18 septembre, lors du congrès de la Fédération française des services à la personne et de proximité (Fédésap).
Six failles d'un système « en cours d'implosion »
Il dénombre les six failles d'un système « en cours d'implosion », alors que les besoins de la prochaine décennie vont augmenter bien plus vite que ceux de la précédente.
- Une gestion du risque centrée sur la grande dépendance et un système qui concentre les ressources sur les établissements et les GIR 1 & 2 ;
- L'arlésienne du virage domiciliaire : la répartition domicile/établissements n'évolue pas depuis 10 ans et 220 000 personnes GIR 3 & 4 sont indûment en établissement ;
- Une gestion fragmentée du risque à partir de l'offre : les 4 composantes essentielles de la prise en charge (santé, aides, logement, vie sociale) ne sont pas intégrées ;
- Une offre en décalage avec la demande : un tiers des personnes ne trouvent pas d'offre et 30% des plans d'aides ne sont pas intégralement consommés ;
- Une gouvernance à ajuster : le chevauchement des missions du département et de l'ARS rend la gouvernance peu efficace et peu lisible, l'étatisation de la CNSA bloque la démocratie sociale, l'absence de loi de programmation votée illustre la difficulté de la gouvernance actuelle à construire une stratégie nationale ;
- Un financement instable et non soutenable : le budget de la CNSA repose à plus de 90% sur l'impôt, dont une part aléatoire de CSG, rendant son équilibre financier artificiel et au détriment de la branche santé.
Les piliers d'un nouveau modèle
Pour l'Institut Santé, le « redressement systémique » passe par un modèle reposant sur une priorité : le dépistage et la prise en charge précoce des seniors fragiles, « maillon faible de la chaine du risque ». Une priorité confiée à la CNAV qui en assurera le pilotage, le financement et l'évaluation, sous la forme d'un programme dit de care management.
Trois piliers doivent soutenir ce nouveau modèle.
- Un pilier stratégique : réorganiser la gestion du risque à partir d'une approche préventive, individualisée et globale. Cela exige la création d'un nouveau métier de Care manager (100 000 emplois de plus d'ici 2050), la bascule d'une logique collective et institutionnelle vers une logique domiciliaire et individualisée (réforme des Ehpad) et la prise en compte systématique des 4 composantes principales du risque (sanitaire, médico-social, logement, vie sociale).
- Un pilier économique et social : piloter les ressources à partir des besoins et non de l'offre, ce qui passe par une évaluation des besoins médico-sociaux et un schéma départemental des ressources pour y répondre, à intégrer dans une stratégie nationale de l'autonomie et une loi d'orientation et de programmation pluriannuelle, ainsi que par l'instauration d'un contrat de prise en charge personnalisée de la perte d'autonomie (CPPA) entre les acteurs ;
- Un pilier politique : renforcer la citoyenneté sociale (voire la créer) sur le risque dépendance, ce qui exige le respect systématisé de la dignité de la personne, quel que soit son niveau de dépendance. Ce respect systématisé doit apparaître dans la stratégie nationale, dans tout plan d'aide et à chaque niveau de la gouvernance, « et doit être associé à un financement lisible et contributif
Déclinaison opérationnelle
Frédéric Bizard propose ensuite une déclinaison opérationnelle du nouveau modèle en termes de gouvernance avec un « Etat stratège » et de financement « dominé par l'instauration d'un système assurantiel public » avec trois composantes :
- Un filet « beveridgien » financé par les impôts locaux (le Conseil départemental), pour financer la population dépendante la plus précaire et à bas revenus, qui sera couverte à quasiment 100% par une prestation unique autonomie (PUA) ;
- Un système assurantiel public qui couvrira l'essentiel des dépenses autonomie du reste de la population dépendante, qui sera financé par un mix cotisations (CASA) / impôts nationaux (CSG), avec un reste à charge plafonné par un bouclier médico-social (un pourcentage du revenu disponible) ;
- Un système assurantiel privé supplémentaire, de type mutualiste, obligatoire à partir de 60 ans (mutualisation sur toute la population des seniors), qui couvrira des services non remboursés par l'assurance publique autonomie.
La prestation unique autonomie (PUA) -qui se substituera à l'APA, la PCH et à l'ASH pour les personnes âgées à bas revenus- sera financée par le Conseil départemental et gérée par la CNAV pour la prise en charge à quasiment 100%, moyennant un reste à charge symbolique de quelques euros, des personnes dont le revenu est inférieur à 80% de revenu médian. L'assurance publique autonomie (la CNSA) financera le reste de la population dépendante. Elle sera financée par de l'impôt et une cotisation de type CASA payée par environ 50% des retraités, les plus aisés, qui montera en puissance d'ici à 2050 en s'appuyant sur la forte hausse de la population de retraités (effet volume), pour représenter 30% du financement de cette assurance en 2050.
Organisation des acteurs recentrée sur les besoins
L'organisation des opérateurs de services sera centrée sur les besoins de la demande dans un système désintermédié par des plateformes numériques (et physiques), garantissant à chaque usager de disposer d'une réponse adaptée et d'un libre choix. La capacité du prestataire à intégrer les principales compétences dans son offre (sociales, médico-sociales, techniques) et l'obligation de respecter la mutabilité du service public par de l'innovation optimisera la qualité d'un service accessible à tous.
La transformation des Ehpad actuels - soit en établissements spécialisés de nouvelle génération pour la grande dépendance (type USLD), soit en établissement de type résidence service senior (RSS) ou en habitats inclusifs - « permettra de réussir le développement des services à domicile et des résidences intermédiaires, et d'améliorer la prise en charge de la grande dépendance ».
La toute première réaction est venue de la Fédésap qui dans un long communiqué du 19 septembre « salue » un changement de paradigme et soutient ces propositions « réalistes » - priorité au domicile, financement équitable, gouvernance clarifiée et réinvention des opérateurs et appelle à l'action : « Il y a urgence. Il n'est plus temps de penser, il faut agir, et agir vite », insiste Frank Nataf, réélu président de la Fédération.
La synthèse du rapport Institut-Sante-Synthese.pdf