Le droit de mourir en humanité, le temps venu
Nos devoirs à l'égard d'une personne éprouvée par les circonstances d'une diminution de son autonomie ou de pathologies liées au vieillissement, parfois en quête du geste définitif qui conclurait, faute de mieux, un temps embourbé dans la désespérance, ne consistent pas à s'octroyer une fonction qu'il ne nous revient pas d'assumer. Nous ne sommes pas attendus pour cette mauvaise besogne.
Chacun envisage la signification politique de l'engagement auprès de la personne vulnérable en fin de vie selon des valeurs, des représentations et des convictions qui inspirent une certaine conception de la responsabilité. De manière insatisfaisante, c'est dans le contexte souvent polémique de controverses publiques que sont discutées des circonstances intimes, privées, celles qui se voient ainsi ramenées à des débats d'idées, à des choix de société. Les récits de vie s'entrechoquent dans la succession de batailles douloureuses, dont chacun tire prétexte à des arguments favorables à une position qui, bien souvent, n'a pour force que de s'opposer à celle qu'elle dénonce.
Là où l'humanité d'une sollicitude est plus attendue que la rigidité de postures dogmatiques, la dignité échappe aux considérations théoriques, et nos idéaux ont moins de prix que la valeur d'une relation et l'humanité du signe adressé par celui qui ne déserte pas. Il ne faut pas compromettre définitivement les quelques raisons qui permettent d'espérer encore de la vie et d'attendre de ses derniers instants l'accomplissement d'une existence respectée jusqu'à sa fin.
Le droit de bénéficier d'une position maintenue dans la préoccupation des vivants, de conditions d'accompagnement dignes de l'idée d'humanité, constitue un enjeu que j'estime plus déterminant que l'organisation du dispositif favorisant l'octroi d'une mort médicalement assistée. Il s'agit là d'une responsabilité qui saisit notre société dans sa capacité d'affirmer le sens ultime du lien et de la fraternité.
La dignité humaine exige de notre part une réflexion intègre et courageuse : elle se refuse aux complaisances de la compassion. Il importe de réhabiliter et de restaurer une relation de confiance, alors que le soupçon s'insinue de manière délétère dans les espaces du soin, accentuant les vulnérabilités notamment des plus âgés. Il convient de repenser la fin de vie et la mort également en dehors des institutions, d'accueillir ceux qui y sont confrontés en société, dans la quiétude d'une hospitalité et d'une sollicitude qu'on leur doit. D'autres formes de solidarités doivent être inventées afin d'assumer un tel défi. C'est à cette condition que la sérénité, la décence et la compétence permettront à chacun de vivre sa destinée dignement jusqu'à son terme. S'il est en ce domaine un droit, n'est-il pas celui de mourir en humanité, le temps venu ?
Emmanuel Hirsch
Professeur d'éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay