Adélaïde Panaget est pianiste, fondatrice du Duo Jatekok et programmatrice d'Ehpadons-nous !
« L'enjeu est d'apporter de l'art de qualité dans les Ehpad »
Quel est votre parcours ?
Je suis née à Paris. Très tôt, j'ai eu la chance de suivre un cursus de musique en horaires aménagés. Cela m'a permis de pratiquer le piano tous les après-midis. Après un bac scientifique, j'ai intégré le Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) où j'ai bénéficié de l'enseignement de très grands pianistes. Très vite, je me suis produite en duo avec une amie d'enfance, Naïri Badal. Nous avons fondé Jatekok, le « jeu » en hongrois, pièce contemporaine de Kurtág, interprétée lors d'un concours à Valberg en 2007.
Si le récital traditionnel classique compose la majorité de notre répertoire, avec orchestre, je développe en parallèle des projets transdisciplinaires, avec d'autres formations. Cela m'a amenée à travailler avec des comédiens, des danseuses hip-hop, des magiciens... J'aime sortir du cadre traditionnel, me confronter à d'autres personnes et d'autres arts. Récemment nous avons réalisé la première partie d'un groupe de métal allemand, Rammstein, une expérience très intéressante. Le public était heureux de découvrir les mélodies du groupe différemment, au piano.
Vous êtes à l'initiative d'Ehpadons-nous. De quoi s'agit-il ?
Lors du premier confinement, tout a été mis à l'arrêt. Je m'interrogeais sur la manière de transmettre la musique. Des vidéos circulaient mais je ne trouvais pas cela très pertinent. Mon mari travaillait déjà dans le secteur médico-social. Il menait des opérations pour équiper les établissements en tablettes. J'entendais donc beaucoup parler des difficultés des Ehpad. C'est la vidéo d'un violoniste jouant sous les fenêtres de sa grand-mère qui a été le révélateur. Il nous a donné l'idée de lancer un festival, « Ehpadons-nous ! », qui proposerait des concerts dans les Ehpad en extérieur, sous les fenêtres des résidents ou dans les jardins. Devant l'enthousiasme suscité par le projet et grâce au soutien de la Fondation I2ml, nous avons organisé, à Nîmes, une quinzaine de concerts avec des artistes locaux. Nous voulions une programmation éclectique, cohérente et exigeante, pour ne pas tomber dans les clichés faciles de la musique classique ou du bal musette.
Nous étions particulièrement heureux devant le succès rencontré par le duo « danse contemporaine/improvisation au piano », un très joli moment qui a permis d'amener de l'art de qualité dans les Ehpad.
Avez-vous prolongé cette expérience ?
Devant le succès rencontré, nous avons étendu le dispositif à l'Occitanie. J'ai organisé 50 concerts cette année. Nous avons aujourd'hui des demandes de toutes les régions. Nous sommes donc en train de créer une association indépendante pour nous structurer et diffuser le projet sur l'ensemble du territoire. Cela nécessite une organisation et un renforcement humain. En parallèle des concerts, nous invitons les résidents des Ehpad à créer des oeuvres autour d'une thématique. L'an dernier, ils se sont exprimés sur le thème de la liberté. Cette année, nous avons choisi l'espoir. Le but est de créer des oeuvres dans l'Ehpad et les faire entrer dans la cité par le biais d'une exposition. Nous voulons casser l'image négative des Ehpad, qui loin d'être des mouroirs, sont des lieux de créativité et d'envies.
Et maintenant ?
Nous voudrions ouvrir les concerts réalisés dans les Ehpad au grand public, à la fois pour partager ces instants, mais aussi pour faire découvrir des beaux lieux. J'ai été étonnée de découvrir des très beaux jardins, des chapelles... C'est une occasion de montrer l'intérieur des établissements, d'ouvrir les portes et de participer à les rendre vivants. L'an dernier, le festival a bénéficié du soutien financier de la ville de Nîmes, de la Fondation I2ml, de la région Occitanie, des mécènes privés comme la Fondation Korian, la mutuelle Audiens et Malakoff Humanis. Cela a permis de financer les concerts et de payer les artistes. Cette année, nous avons aussi bénéficié de l'aide de l'ARS Occitanie pour multiplier les concerts et créer des ateliers avec des médiatrices culturelles. Elles se déplacent d'Ehpad en Ehpad et favorisent les liens entre résidents et aidants familiaux.
Quelle est l'urgence aujourd'hui ?
Changer le regard de la société sur les Ehpad pour lutter contre la mise au ban des plus âgés. Il faut créer du passage dans ces lieux de vie.