Le think tank Matières Grises a analysé les rapports d'évaluation de 3526 Ehpad tous secteurs confondus. Le Synerpa, la FHF et la Fehap réagissent.
Évaluations : le secteur privé commercial « sort très largement son épingle du jeu »
Matières Grises publie une note d'analyse titrée « Evaluation de la qualité : les Ehpad commerciaux devant, les publics loin derrière ». Signée de Luc Broussy, son co-fondateur, et Katy Giraud, sa déléguée générale, elle porte sur 3526 Ehpad ayant fait l'objet d'une évaluation rendue publique par la Haute Autorité de santé (HAS) sur la plateforme Qualiscope, sur un total de 7 421 susceptibles à terme d'être évaluées, soit 48% - le poids respectif entre secteurs public, associatif et commercial de 46 %, 29 % et 25 % y étant comparable. Pour réaliser cette analyse, le think tank s'est doté de la première base complète des résultats d'évaluation au 1er décembre 2025, grâce à des techniques informatiques spécifiques et l'aide de l'intelligence artificielle - pour rappel, l'évaluation repose sur 157 critères dont 18 « impératifs ».
53 % des Ehpad en A sont dans le secteur commercial
Il en ressort que tous statuts confondus,
- 34,7 % des Ehpad sont en catégorie A, meilleur score de qualité
- 43 % en B
- 20,6 % en C
- 1,8 % en D.
« Un tiers seulement dans la catégorie la plus haute : on voit bien l'ampleur du défi qui se pose à l'immense majorité des établissements », commentent les auteurs. Ils notent au passage qu'avant que la HAS et la DGCS ne corrigent le tir, « les scores étaient encore moins flatteurs », avec notamment 23% de A et 28% de C.
Ils ajoutent aussitôt que « le meilleur clou de [leur] enquête se trouve dans la répartition des cotations A, B, C et D selon le statut juridique » :
- 53 % des Ehpad en A sont dans le secteur commercial
- 33 % dans le secteur associatif
- 23 % seulement dans le secteur public.
« 30 points entre les Ehpad commerciaux et les Ehpad publics : le différentiel est énorme », constate la note d'analyse. « L'homogénéité est plus affirmée » pour les B qui sont 45 % dans l'associatif et dans le public mais 35 % dans le commercial. C'est en conséquence parmi les classés C « que la distinction refait surface : 9 % dans le commercial, 20 % dans l'associatif et 29 % dans le secteur public. Vingt points de différence entre privé et public : là aussi le constat est édifiant ».
Les leçons à tirer ?
La première est dans les chiffres... et le titre de la note. « D'abord que le secteur privé commercial sort très largement son épingle du jeu, il faut le dire avec insistance tant les groupes privés ont été depuis l'affaire Orpéa la cible quasi-exclusive de la presse et de certains responsables politiques », écrivent Luc Broussy et Katy Giraud.
La deuxième, détonante : l'absence de lien entre qualité et ratios de personnels -« notre enquête, mais surtout les évaluations de la HAS elles-mêmes, n'indiquent aucun lien logique entre ratio de personnel important et cotation élevée ». Logique ? L'analyse de Matières Grises, qui emprunte à d'autres données statistiques (enquête Ehpa notamment), pointe même un « curieux paradoxe » (ce sont les auteurs qui l'écrivent) que nous résumerons ainsi : plus il y a de personnel soignant moins la note est bonne, c'est le cas dans le public... De quoi interroger la méthodologie adoptée et l'extrapolation qui en est faite ! Remarque des auteurs : « Il n'est pas question pour autant de nier qu'un Ehpad fonctionnera mieux avec 20 aides-soignantes qu'avec 15. Mais il est tout autant vain de conclure qu'un ratio de personnel est à lui seul une garantie de qualité » -mais qui dit cela ?
Ensuite, les auteurs reconnaissent que la HAS « évalue plus un niveau de formalisation des procédures qu'un ensemble de faits objectifs ». Ils citent d'ailleurs Didier Sapy, directeur de la Fnaqpa, « au lieu d'évaluer la qualité, on évalue des process de qualité ». Or, « à ce petit jeu des process, les groupes privés, commerciaux comme associatifs, sont bien mieux armés », concèdent-ils.
Enfin, dernier élément mis en avant, le coût d'une mission d'évaluation : 7 240 euros TTC en moyenne. A la charge du tarif hébergement, « sans compter les coûts de préparation de la démarche, pour ceux qui peuvent s'en donner les moyens : temps de travail dédié d'un responsable qualité, formation et mobilisation des équipes, organisation d'évaluations « à blanc » avec des audits ».
Mais sauf sur ce point précis, notons-le, jamais la question des moyens, ou plutôt de la différence de moyens, n'est soulevée par la note d'analyse, ni les écarts de tarifs d'hébergement qui vont de 1 à 1,5. Or la qualité a un coût.
PS : La Note d'analyse porte aussi sur les résidences autonomie et les Ssiad, Géroscopie y reviendra.
Les réactions
Sans surprise, le Synerpa se réjouit dans un communiqué du 17 décembre d'« un constat sans équivoque : le secteur privé obtient les meilleurs résultats sur l'ensemble des offres évaluées » et ce, « alors qu'il a été la cible, ces dernières années, de mises en cause répétées ».
Selon lui, les résultats de l'évaluation de la HAS confortent ceux du plan de contrôle des Ehpad rendus publics au printemps 2025. « Ces évaluations démontrent donc que la liberté d'entreprendre, la recherche d'efficience et l'investissement organisationnel peuvent aller de pair avec un haut niveau d'exigence dans l'accompagnement des personnes âgées ».
Le Synerpa rappelle ses priorités : garantir une équité de traitement entre les acteurs. - « il est indispensable que les politiques publiques cessent d'opposer les modèles et permettent la complémentarité de l'offre » ; gagner en efficience par la simplification administrative et la liberté d'initiative ; renforcer la médicalisation face à la complexification des profils ; faire de l'attractivité des métiers une priorité nationale.
Pour la Fédération hospitalière de France, il est « factuellement erroné de présenter les écarts de cotations comme le reflet direct d'une différence de qualité intrinsèque entre statuts » et les écarts indiqués par la note de Matières Grises ne sauraient « être analysés sans tenir compte de trois réalités majeures » dont un différentiel majeur de ressources de 1 100 euros par mois en moyenne entre le tarif moyen d'hébergement public (1 800 euros ) et celui du privé commercial (2 900 euros).
La FHF tient également à souligner « le contresens grave » qu'il y aurait à considérer qu'il n'existe pas de lien entre les ratios d'encadrement et la qualité effective de l'accompagnement. « Une telle conclusion pourrait entraîner des conséquences dramatiques sur les politiques publiques dans les années à venir ».
La FHF fait quatre propositions : accélérer la structuration des groupements territoriaux sociaux et médico-sociaux (GTSMS) ; compléter la cotation HAS par des indicateurs de résultats centrés sur l'usager (taux de chute, de nutrition, d'hospitalisation...) ; mettre un terme au lien financier direct entre l'opérateur évalué et l'organisme évaluateur ; « engager un rééquilibrage urgent des ressources et des charges et la fin des inégalités socio-fiscales, car on ne demande pas à un établissement public de faire mieux avec objectivement moins ».
Interrogée par Géroscopie, la Fehap souligne que comme tout système de notation, « ces cotations proposent une interprétation de la réalité à un instant donné », et « ne sauraient, à elles seules, traduire l'ensemble de la qualité des accompagnements ni l'engagement quotidien des professionnels auprès des personnes âgées ».
Plusieurs éléments invitent ainsi « à la nuance dans les comparaisons », notamment entre secteurs. Le calendrier de déploiement des évaluations n'a pas été homogène selon les catégories d'établissements. Certains ont été évalués très tôt après la publication du référentiel, tandis que d'autres ont bénéficié d'un temps d'appropriation plus long, « ce qui peut légitimement influer sur les résultats observés ».
Par ailleurs, les inspections et contrôles menés par les agences régionales de santé entre 2022 et 2025 apportent un éclairage complémentaire. La Fehap rappelle « que le privé solidaire a fait l'objet de près de quatre fois moins de sanctions que le privé lucratif ».
Cela rappelle que les outils d'évaluation et de contrôle répondent à des finalités distinctes et produisent des lectures différentes de la qualité.
Enfin, la Fehap « souligne l'importance d'une approche équilibrée de la qualité ». Si les critères impératifs constituent des repères essentiels, « l'expérience vécue et la perception des personnes accompagnées doivent également occuper une place centrale dans l'appréciation globale des établissements. » L'enjeu est bien de reconnaître la qualité du service rendu dans toutes ses dimensions, au-delà d'un score synthétique.
