Depuis la loi Bien Vieillir du 8 avril 2024, les personnes qui emménagent en Ehpad ont désormais le droit de garder leurs animaux de compagnie auprès d'elles. Cette mesure, pensée pour favoriser leur bien-être, est encadrée par l'arrêté du 3 mars 2025 qui fixe les conditions d'accueil desdits animaux de compagnie. Entre espoir et défiance, qu'en est-il aujourd'hui ?

Chiens, chats et compagnie
La nouvelle résidente, pimpante et flamboyante, vient d'arriver avec une petite valise, quelques cartons... et une énorme caisse recouverte d'une longue bâche. Ma collègue ouvre de grands yeux ébahis.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? » me demande-t-elle avec effroi.
Lucien le lapin semble tout autant intrigué que nous. Il s'approche en sautillant, son petit museau frétillant, et tourne prudemment autour de la grande boîte mystérieuse.
Monsieur Moutarde observe la scène d'un oeil suspicieux. Il est arrivé le mois dernier avec son lapin blanc et, depuis, il passe ses journées à courir après son petit compagnon. Lucien gambade partout, explore tous les coins et recoins et, si Monsieur Moutarde a parfois du mal à le suivre, il avoue n'avoir jamais été aussi en forme qu'aujourd'hui.
« Pensez-vous ! J'atteins enfin les 10 000 pas par jour, je redeviens un vrai jeune homme ! » jubile-t-il en riant.
Le duo est vite rejoint par Sacha le chat qui vient à son tour fureter autour de la montagne de caisses qui jonchent le hall d'entrée. Le félin s'avance à pas feutrés, passe entre les jambes de Martine, s'immobilise à côté du fauteuil de Monsieur Tilleul et fixe la grande cage sans bouger une oreille.
Mimi le ouistiti s'est perché sur l'épaule de ma collègue Julie et pousse de petits cris effrayés, ce qui ne semble pas rassurer Bibiche le caniche qui jappe fébrilement. Gaston le pigeon, attiré par ce rassemblement impromptu, s'approche en se dandinant, et son roucoulement agrémente harmonieusement la joyeuse cacophonie. Le hall se remplit peu à peu, résidents, soignants et compagnons à plumes et à poils à leur suite, et s'emplit de cris, chuchotis et autres bruits divers.
« Qu'est-ce donc ? » demandent les uns.
« Miaou wouaf cui hiii... » semblent répondre les autres.
La nouvelle résidente, indifférente à l'agitation ambiante, murmure des paroles rassurantes à l'occupant mystère de la cage.
« Ne t'en fais pas Léon, tout va bien. Sage ! Pas bouger ! »
L'ambiance est jusque-là plutôt joyeuse, jusqu'au moment fatidique où...
Lucien le lapin aperçoit Sacha le chat. Ces deux-là ne s'apprécient guère et il y a déjà eu quelques échauffourées à déplorer. Il n'a fallu que quelques secondes d'inattention, une porte mal fermée, et les deux ennemis se retrouvent museau à truffe. Le lapin se fige, le chat hérisse ses poils, et c'est la cavalcade. Sacha s'élance, Lucien détale, Bibiche aboie et Gaston s'envole. Dans la panique générale, personne n'a remarqué Mimi qui a bondi sur la cage. Gaston passe tout près en volant, le ouistiti prend peur, glisse et entraîne la grande bâche dans sa chute, révélant aux yeux apeurés de l'assemblée le nouveau locataire. Léon le lion, énorme, furieux, rugit à pleine voix, splendeur et fureur résonnent avec majesté, et tout le monde se fige instantanément. Tout le monde ? Non, pas Tigrou, le vieux chat roux et sourd de Madame Bégonia. Le matou inconscient du danger s'est mêlé à la partie et, tout occupé à courir lui aussi après le lapin, traverse à toute allure l'assemblée sans regarder ni devant ni derrière. Mimi, affolé, tente un saut de l'ange alambiqué pour éviter une collision, et se raccroche à ce qu'il peut, en l'occurrence le verrou de la cage. Dans un périlleux mouvement de bascule, il fait un très joli vol plané au-dessus de la ménagerie et... Clac ! Ce bruit est suspect. En s'y accrochant, Mimi vient d'actionner l'énorme verrou protecteur. Le nouveau locataire profite de l'aubaine et bondit de la cage ouverte en moins de temps qu'il n'en faut pour signer les papiers d'admission.
« N'ayez pas peur, il est gentil ! » s'époumone Madame Rosa en clopinant à sa suite.
Panique générale. Chats, chiens, oiseaux et autres animaux s'égayent dans tous les sens, l'Ehpad n'est plus que cris terrifiés et fuite éperdue. Au loin, j'entends déjà les sirènes hurlantes des pompiers et le vrombissement de l'hélico de la sécurité civile.
Je fais comme tout le monde, je hurle et je cours. Mais, alors que j'ai presque atteint la sortie, je me prends les pieds dans un déambulateur, tombe lourdement et, avant même d'avoir le temps de me relever, sens le poids de deux énormes pattes sur mes épaules. C'en est fini de moi. Je ferme les yeux, attendant ma fin toute proche, anéantie par le poids de l'énorme félin qui rugit... Miaou !
Miaou ? J'ouvre les yeux. Balthazar mon vieux chat noir me fixe de ses grands yeux jaunes. Je ne suis pas à l'Ehpad mais chez moi, dans mon lit, et mon chat n'a rien d'un féroce lion affamé. Un rêve. Tout ça n'était donc qu'un mauvais rêve !
En vrai, je n'ai rien à craindre des animaux de l'Ehpad.
Car si la loi Bien Vieillir autorise bien leur présence dans les établissements, l'arrêté du 3 mars en fixe des contours protecteurs.
Les résidents désirant emménager avec leur animal de compagnie doivent « veiller à l'absence de comportement dangereux de l'animal, y compris dans les espaces privatifs ». Exit donc le caniche agressif et le lion rugissant !
Les conditions d'accueil de l'animal doivent également « respecter les règles, fixées par le directeur de l'établissement pour assurer l'hygiène, la sécurité des personnels et résidents, ou la tranquillité des résidents, et relatives aux espaces soumis à des interdictions ou des restrictions d'accès pour les animaux ». Les aboiements nocturnes intempestifs, la litière qui déborde et le malinois qui monte férocement la garde derrière la porte de la chambre ne sont ainsi pas acceptés au sein de l'établissement, au grand soulagement des résidents qui y vivent et des soignants qui y travaillent.
Pour l'heure, nous n'avons parmi nous que Roxie, une petite chatte adoptée en refuge, qui passe ses journées à quémander des croquettes et des câlins, et Bingo, le chien de Monsieur Loto, vieux pépère tranquille qui vient gentiment s'allonger à nos pieds pendant les transmissions.
Je vais donc me rendormir, blottie contre mon chat ronronnant. Viens, mon chat, sur mon coeur amoureux...