Accueillir des jeunes condamnés à des travaux d'intérêt général dans un Ehpad, une idée surprenante ? Depuis plusieurs années, l'Ehpad Le Village dans l'Yonne met en pratique cette mesure avec succès, transformant une peine en opportunité de réinsertion. Un dispositif qui pourrait bien se développer dans le secteur du grand âge.

Les Ehpad, nouveaux lieux d'accueil pour les TIGistes
Dans le film Maison de retraite, l'humoriste Kev Adams incarne Milann, un trentenaire contraint d'effectuer 300 heures de travail d'intérêt général (TIG) dans un Ehpad pour éviter la prison. Si les premières semaines sont un enfer, il se fait rapidement adopter par les résidents. Un scénario qui, loin d'être une pure fiction, reflète une initiative bien réelle : depuis 2018, l'Ehpad Le Village, situé à Saint-Georges-sur-Baulche, près d'Auxerre, accueille des personnes condamnées à des TIG. L'histoire a commencé par hasard. Philippe Mussard, le directeur raconte : « J'ai appris que le cuisinier de mon prestataire de restauration devait s'absenter plusieurs semaines car il était condamné à des heures de TIG. Je me suis rapproché du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) pour qu'il puisse les effectuer chez nous. » En six ans, entre 350 et 400 personnes placées sous main de justice (PPSMJ) ont été accueillies par la maison de retraite pour un total de 5 000 heures. « C'est l'équivalent d'un temps plein chaque année », souligne son directeur. Le profil est souvent le même : majoritairement des hommes entre 18 et 25 ans, ayant commis des délits mineurs (infractions routières, vandalisme, consommation de drogue...). « S'il faut garder à l'esprit que ces personnes purgent une peine, il y a aussi une volonté de réparation et de réinsertion par le travail », insiste Philippe Mussard. L'objectif du TIG est multiple : sanctionner, réparer une faute, favoriser l'insertion des personnes éloignées de l'emploi et prévenir la récidive de primo-délinquants.
Transformer une sanction en tremplin vers l'emploi
« Beaucoup de ces jeunes sont éloignés du marché du travail et ont peu de qualifications. Ici, nous tenons à leur confier des missions valorisantes », explique Philippe Mussard, anciennement travailleur social. Au Village comme dans la plupart des établissements qui les accueillent, ils participent à l'entretien des espaces verts, aux petits travaux de maintenance ou encore à la réfection des espaces communs. Ces jeunes, considérés comme des stagiaires à part entière, bénéficient de l'accompagnement et l'encadrement d'un tuteur. « Dès le début, le pôle maintenance a été associé à la démarche, car la nature des missions correspondait bien aux possibilités des jeunes accueillis », explique Pascal, agent d'entretien nommé référent. L'objectif de cette mesure n'est pas de supplanter les employés, mais plutôt de les soutenir, clarifie Philippe Mussard. Ils arrivent en renfort et soulagent grandement les équipes : accompagner l'agent d'entretien à la déchetterie, tondre la pelouse ou tailler les haies, aider les animateurs à pousser les fauteuils roulants à l'occasion d'une sortie, nettoyer les interrupteurs en période d'épidémie, rafraîchir les murs, etc. « Le rez-de-chaussée de la résidence ainsi que la salle de repos des soignants ont été entièrement repeints grâce à eux. » Des tâches qui sont autant de « bonus » pour des Ehpad qui n'ont ni le temps ni le budget nécessaire à ce genre de travaux.
Le droit à une seconde chance
« Lorsque je les reçois, ils me disent souvent ne rien savoir faire », confie Philippe Mussard. « Pourtant, tout le monde a des compétences à apporter. » Des exemples à donner, le directeur en a plein. Comme cet étudiant en master STAPS qui l'a aidé à formaliser le projet « chute et équilibre » qui a valu un prix à l'établissement. Ou encore cette aide-soignante accueillie l'été 2019 : en pleine canicule, elle s'est occupée des tournées d'hydratation des résidents. Ces heures passées en Ehpad permettent d'ajouter une ligne sur un CV, voire de déboucher sur un emploi. Au Village, près d'une quinzaine de TIGistes ont été embauchés en CDD. Des liens se nouent avec les résidents qui n'ont ni préjugé ni crainte à leur égard. « On ne leur met pas une étiquette ! », témoigne Janine. « Si ces heures de TIG aident à la réinsertion et préviennent la récidive, ça me donne le sentiment d'être utile », ajoute Marie-France. « Comme ils me disent souvent, tout le monde peut faire une bêtise et a droit à une seconde chance », relève Philippe Mussard. Les résidents jouent d'ailleurs un rôle actif auprès de ces jeunes. « Ils n'ont aucune gêne à leur rappeler les règles de politesse. Avec ce que j'appelle le pouvoir des cheveux gris, ils savent se faire respecter mieux que personne », s'amuse Philippe Mussard.
Sur les 400 personnes accueillies au Village depuis sept ans, seulement trois ne sont pas allés jusqu'au bout de leurs heures. Le SPIP se targue en effet d'un taux de réussite de 85 %. Selon le directeur, il faut faire preuve de flexibilité dans l'organisation planning. « Lorsqu'ils sont étudiants, on fait en sorte qu'ils puissent venir travailler sur le temps des vacances, et intérimaires, ils viennent entre deux contrats. » Avec l'avantage de l'Ehpad à la différence d'une collectivité ou d'un établissement public, d'être ouvert 24h/24 et 365 jours par an.
Développer le TIG dans le secteur du grand âge
Convaincu par le dispositif, la Fondation Partage et Vie signait en septembre dernier une convention avec l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle. « Maintenant que nous connaissons les facteurs clés de succès, nous devons essaimer cette dynamique au sein des établissements », souligne sa directrice générale, Delphine Langlet. « Grâce à cette convention, nos 135 établissements sont habilités comme structures d'accueil, ce qui les dispense des démarches administratives pouvant être fastidieuses et décourageantes », explique-t-elle. Depuis, dix nouveaux Ehpad ont rejoint le dispositif. L'idée d'un TIG pédagogique est également en réflexion : au-delà de l'exécution d'une peine, il s'agirait de former ces jeunes pour leur offrir des compétences transférables dans le secteur médico-social. « La plupart d'entre eux n'ont jamais mis les pieds dans un Ehpad. C'est un moyen de changer leur perception sur ces lieux, et pourquoi pas, de susciter des vocations », espère Delphine Langlet. La Fondation Partage et Vie en est convaincue : « L'Ehpad n'est pas seulement une structure de soin pour personnes âgées, c'est aussi un lieu de vie. Il doit être un acteur actif de la société. Devenir structure d'accueil de TIG, c'est une mission sociale et une opportunité pour ces jeunes de se réinsérer durablement. » Mis en place il y a plus de quarante ans, « cette peine qui a du sens » affiche l'ATIGIP ne demande qu'à se démocratiser dans le secteur du grand âge. Une manière de donner à l'Ehpad de demain une place centrale dans la vie citoyenne.
Qui peut accueillir des TIG ?
Les collectivités et établissements publics
Les associations
Les entreprises chargées d'une mission de service public
Les structures de l'économie sociale et solidaire
À titre expérimental, les sociétés à mission sous certaines conditions.
Pour quelles missions ?
Accueil, administratif
Entretien, maintenance, manutention
Espaces verts, restauration
Service à la personne, solidarité
Bon à savoir
Un établissement peut refuser d'accueillir un TIGiste ou mettre fin à la mission à tout moment.
Le ministère de la Justice reste l'employeur légal et responsable en cas d'incident.
La structure d'accueil ne connaît pas le motif de la condamnation.
Rens.www.atigip-justice.fr/