Le vieillissement porte un visage féminin. Cette évidence démographique recouvre pourtant des réalités multiples, faites d'inégalités cumulées et de spécificités souvent invisibilisées.
Femmes et vieillissement : des inégalités qui interrogent les pratiques d'accompagnement
C'est ce qu'ont rappelé quatre intervenantes lors d'une table ronde organisée dans le cadre des dix ans de Silver Innov' : Solenne Brugère, avocate en éthique des affaires, Florence Fortin Braud, aide-soignante et autrice de « Vieillir, une affaire de femmes », Mélissa Asli-Petit, sociologue spécialisée sur le vieillissement, et Aurélie Aulagnon, gérontologue.
Un cumul d'inégalités qui se renforce avec l'âge
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les femmes vivent plus longtemps que les hommes, mais avec 40 % d'écart de pension en moyenne. Carrières hachées, temps partiels, interruptions liées à la maternité ou à l'aidance familiale se traduisent par des retraites amputées. « Quand on touche 1 000 euros ou moins de pension, on est obligé de renoncer : à se chauffer, à se soigner, aux activités sociales », constate Mélissa Asli-Petit. Les femmes de plus de 85 ans aux petites retraites cumulent précarité financière, exclusion numérique et isolement social.
Ces inégalités économiques s'inscrivent dans un contexte plus large de discrimination. L'âgisme et le sexisme constituent une double peine pour les femmes vieillissantes, déjà perceptible dans les difficultés d'accès à l'emploi après 50 ans. Le manque de données statistiques croisant genre et âge contribue à minimiser ces questions dans les politiques publiques.
L'invisibilisation : un mécanisme culturel puissant
Au-delà des chiffres, les intervenantes ont souligné les représentations qui façonnent notre regard sur les femmes âgées. Florence Fortin Braud rappelle que dans le cinéma et la publicité, l'âge d'or féminin se situe entre 24 et 32 ans. Passé 35 ans, les femmes ne représentent que 8 % des rôles au cinéma, cantonnées à deux stéréotypes : la vieille mégère jalouse ou la petite vieille à sauver.
Les médias contribuent à cette invisibilisation en présentant systématiquement les femmes âgées à travers leur fonction vis-à-vis des hommes : séduction, fertilité, tâches domestiques. Ces stéréotypes se construisent dès l'enfance, notamment dans la littérature jeunesse, et imprègnent durablement les représentations collectives.
Des spécificités mal prises en compte dans le champ sanitaire
Le secteur de la santé lui-même n'échappe pas à ces biais. Aurélie Aulagnon rappelle que les crash-tests automobiles n'ont jamais été réalisés sur l'anatomie féminine. Plus largement, les spécificités physiologiques des femmes âgées restent insuffisamment intégrées dans les protocoles de soin et de prévention.
Cette réalité interroge directement les pratiques professionnelles en Ehpad, où les résidentes sont majoritaires. Comment mieux prendre en compte ces spécificités dans l'accompagnement quotidien ? La Charte des droits et libertés de la personne accueillie en EHPAD impose théoriquement cette attention particulière, mais sa mise en oeuvre concrète reste un enjeu.
Des dynamiques positives à valoriser
Les intervenantes ont néanmoins souligné des évolutions encourageantes. Mélissa Asli-Petit observe que la participation à des projets, notamment des compétitions nationales ou internationales après 70 ans, crée une dynamique stimulante. L'engagement des femmes âgées, qu'il soit familial, social ou politique, constitue un levier puissant de transformation. Les « Aînées pour le climat » ou les mouvements internationaux de grands-mères illustrent un leadership fondé sur la coopération, l'entraide et la confiance, en rupture avec les modèles dominants. Ces femmes jouent un rôle de pilier dans leurs communautés, portées par le plaisir de la rencontre et l'hédonisme.
Pour les directeurs et cadres de santé, ces constats invitent à repenser les pratiques d'accompagnement. Il s'agit de reconnaître pleinement les parcours de vie des résidentes, leurs engagements, leur besoin de maintenir des projets. L'enjeu est autant culturel qu'organisationnel : faire de l'établissement un lieu qui valorise les femmes âgées dans leur singularité, loin des stéréotypes et des discriminations qu'elles ont pu subir tout au long de leur existence.
