Dans le n° 156-février 2024  - Démission des directeurs  16436

Directeurs : reconnaissance et autonomie, conditions de l'engagement

Pendant deux années de Covid, les directeurs ont maintenu leurs équipes soudées et porté des initiatives inédites qui ont parfois sauvé des vies. Pourtant, au printemps 2022, alors que le plus dur est passé, nombre d'entre eux démissionnent et changent de métier. Pourquoi ?

La réponse se niche certainement dans un faisceau de raisons. Pour les comprendre, Hervé Andriot, consultant pour les Ehpad et formateur, a enquêté auprès de directeurs1. Après avoir identifié 15 difficultés majeures, il leur a demandé de choisir les trois qui les faisaient le plus souffrir par ordre de priorité. 131 directrices et directeurs ont répondu spontanément. Merci à eux et à tous ceux qui ont accepté de partager commentaires et expériences.

Des résultats sans appel

Les trois principales difficultés qui émergent de ce sondage sont sans réelle surprise le turn-over, les processus administratifs redondants et l'impossibilité de « bien » faire son travail.

28 % des sondés dénoncent le turn-over et 27 % la redondance des processus administratifs, dès la première réponse.

La dénonciation du turn-over continue la course en tête car 38 % le choisissent comme deuxième réponse et 12 % comme troisième. C'est ainsi que 78 % des directeurs l'identifient comme problème central. L'impossibilité de bien faire son travail est citée à l'une des trois places par 54 % des personnes interrogés, la redondance des problèmes administratifs par 44 % des répondants. Les autres propositions recueillent des scores inférieurs.

Trois enseignements principaux

Les deux premiers choix font référence au travail du soin, pas à la partie administrative. Ils pointent un problème de moyens, lesquels trouvent des solutions de gestion, ce qui n'est pas le cas du rapport à la mort ou de la souffrance des familles. Cela indique aussi que le travail le plus valorisé est le soin. Et c'est précisément pour améliorer le soin que des difficultés sont identifiées.

Les difficultés inhérentes au métier ne constituent pas des freins. Le manque de vie privée particulièrement ressenti, le rapport à la mort ou les tensions avec les familles, constituent de véritables souffrances. Elles n'entament pourtant pas l'engagement des directeurs.

La redondance des process administratifs est pointée mais les autres difficultés du même ordre le sont beaucoup moins. La partie administrative du métier est donc admise. L'établissement médico-social est un environnement complexe et contraint, et cette dimension gestionnaire est distincte de la partie soin que portent les directeurs au quotidien. Le fait que 11% des directeurs placent « le manque de soutien des tutelles » en première position montre que leur poids reste important.

Le sens des mots

La deuxième partie de l'étude a porté sur 14 pages de commentaires. Les liens entre les mots ont été analysés afin d'en saisir le sens. Huit couples de mots ressortent : Moyens et Financement, Travail et Épuisement, Reconnaissance et Qualité, Turn over et Recrutement, Vie privée et Équilibre, Relations et Familles, Soutien et Engagement, Administration et Bureaucratie. Certains paraissent évidents, d'autres sont certainement plus instructifs.

Le travail est vécu comme une source d'épuisement, pas d'épanouissement ! La qualité nécessite la reconnaissance, laquelle n'est pas au rendez-vous. Il ne suffit donc pas d'invoquer la mission ou l'humain pour donner du sens au travail, il faut surtout que la qualité du travail leur soit reconnue. On retrouve la même attente dans le couple Soutien et Engagement qui souligne l'importance du soutien, notamment de la part des tutelles. Or, l'essentiel de la reconnaissance porte uniquement sur la gestion, au travers d'indicateurs chiffrés.

Relations et familles indique que les interactions avec les familles sont source de tensions.

Réengager localement

Les directeurs souhaitent améliorer la qualité de leur travail mais se disent entravés par un important turn-over et un absentéisme chronique.

Par ailleurs, un nouveau modèle économique et humain doit émerger pour s'extraire des équations économiques insolubles. C'est le cri que poussent les directeurs d'établissement qui veulent faire mieux localement et qui s'y engagent avec une ferveur non démentie.

Baisser le turn-over en récréant un processus de soin motivant et engageant

Le turn-over interroge la véritable motivation des soignants. Pourquoi un soignant ne vient-il pas travailler quand il se sent faible ? Pourquoi tel autre change de métier, pour un salaire guère meilleur ? Parce qu'ils ne réalisent plus d'actes suffisamment motivants.

Un processus de soin n'est pas seulement une succession de gestes, ce sont aussi des initiatives et des négociations avec les infirmières et les médecins. Ces aménagements valorisent leur expertise et leur métier. Il faut identifier ces marges de manoeuvre qui se sont réduites, puis les réinsérer dans le processus pour récréer l'envie de venir quand on est finalement juste un peu faible, ou de s'accrocher à son poste.

Ce faisant, on stabilise les équipes, et on baisse la facture de l'intérim. Le retour des soignants permet de reconnaître leurs efforts quotidiens, le travail le week-end et leur flexibilité. Le recrutement reprend, les nouvelles recrues intègrent une équipe stable et se sentent mieux accueillies.

L'Ehpad qui inverse cette tendance améliore localement sa marque employeur, le personnel étant plus attaché à l'établissement qu'au groupe.

Pour un nouveau modèle économique et humain

Depuis plus de 20 ans et le « tournant gestionnaire », les métiers dépendent de règles de gestion. Le New Public Management s'inspire de la gestion privée et lui emprunte ses outils, ses indicateurs et ses objectifs. L'État a standardisé les Ehpad. Fini les PUV de 20 à 45 lits ! Certes, les moyens alloués ont augmenté, les pratiques se sont améliorées, mais au prix de la déliquescence des équipes et de la perte de la singularité de la relation avec les résidents et les familles.

Il n'y a pas de modèle unique de l'Ehpad. L'introduction en 2018 de l'article 51 de la Loi PLFSS constitue d'ailleurs une fenêtre vers des initiatives locales. Nombre de directeurs le considèrent encore trop encadré et la menace de perdre certains soutiens financiers les refroidit vite.

C'est cependant à l'échelon local que des changements peuvent s'initier. L'Entreprise libérée (Isaac Getz) et le modèle Opale (Frédéric Laloux, Reinventing Organizations) fournissent des concepts opératoires pour susciter des changements avec une méthodologie, tout en évitant certains écueils que la recherche en gestion a mis en évidence2.

Un Ehpad historique de la Creuse est très différent d'un nouvel Ehpad du 93. Les transformations ne peuvent qu'être locales, avec des objectifs communs.

Un ancrage local et des indicateurs partagés

L'engagement des directeurs et directrices est la meilleure nouvelle du sondage. Il est fort et ne dépend ni des tutelles ni de la hiérarchie. Il exige quand même une reconnaissance de la qualité. Mais, passé cette exigence, il se nourrit exclusivement des moyens du terrain pour s'exercer correctement. Le nouveau modèle économique consisterait donc à donner une pleine autonomie à chaque Ehpad tout en garantissant l'enveloppe financière, sous réserve de contrôles évidemment. La réglementation et les indicateurs de bonne gestion sont insuffisants pour opérer une offre de soin digne. D'autres indicateurs de qualité du soin, de progression des carrières et de professionnalisation émergeraient pour poursuivre la transformation entamée il y a 20 ans.


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