En tant que directeur d'Ehpad, on peut être régulièrement confronté à des demandes liées à la pratique religieuse, qu'elles proviennent des résidents ou des membres du personnel. Si la liberté de conscience est garantie par la Constitution et la loi du 09 décembre 1905, son exercice se décline différemment selon que l'établissement relève du secteur public ou privé.
Encadrer la liberté religieuse en Ehpad : quelles obligations pour le directeur selon le statut de l'établissement ?
Dans un Ehpad public : la nécessaire neutralité des agents
Les agents publics ont une liberté d'opinion mais sont soumis à une obligation stricte de neutralité religieuse. Inscrite dans le Code général de la fonction publique[i], elle interdit toute manifestation de croyances dans l'exercice des fonctions : port de signes, propos religieux et prosélytisme. La jurisprudence du Conseil d'État[ii] a confirmé qu'une expression ostentatoire pouvait constituer une faute disciplinaire. En revanche, les résidents ne sont pas tenus à cette neutralité. Le principe de laïcité vise à protéger leur liberté : ils peuvent pratiquer leur culte, accueillir un ministre du culte, porter des signes d'appartenance, bénéficier de menus adaptés, dès lors que cela ne perturbe ni la tranquillité des autres, ni le bon fonctionnement du service. L'établissement doit faciliter ces pratiques[iii], mais il n'est pas tenu d'adapter son organisation à toutes les exigences personnelles. Ainsi, un résident ne peut récuser un soignant en raison de sa religion supposée, ni exiger une réorganisation du planning des soins.
Dans un Ehpad privé : un équilibre entre liberté et contraintes professionnelles
Les salariés de droit privé bénéficient de la liberté religieuse, protégée par le Code du travail, et l'employeur ne peut restreindre cette liberté que pour des raisons objectives : hygiène, sécurité, nature de la tâche. Ces restrictions doivent toujours être proportionnées. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité[iv] a jugé fondé le licenciement pour faute grave d'une salariée d'Ehpad qui refusait de retirer son voile. Le règlement intérieur peut prévoir une clause de neutralité[v], à condition qu'elle soit justifiée par le bon fonctionnement de l'établissement et appliquée de façon générale et proportionnée. Cette évolution s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation[vi], qui a validé le licenciement d'une salariée refusant de se conformer à une règle interne de neutralité posée par une crèche privée accueillant de jeunes enfants. Pour les résidents, la logique reste la même que dans le secteur public : leur liberté de culte est garantie, mais elle ne doit pas troubler l'ordre de l'établissement ni nuire aux autres. Certains Ehpad privés à identité confessionnelle vont même plus loin en proposant des lieux et temps de culte spécifiques, sans rien imposer aux personnes accompagnées.
Le directeur : un rôle central de régulation
La mission du directeur consiste à arbitrer entre ces droits et contraintes. Dans le secteur public, il faudra rappeler aux agents leur devoir de neutralité et faciliter, dans la mesure du possible, l'expression religieuse des résidents. Dans le secteur privé, il s'agira de veiller à ce que toute restriction imposée aux salariés soit fondée, proportionnée et inscrite dans le règlement intérieur. Dans les deux cas, le dialogue reste un outil essentiel : expliquer, prévenir les malentendus, sans jamais céder à des logiques de prosélytisme ou de discrimination. Ainsi, la liberté religieuse en Ehpad n'est pas un droit absolu mais un équilibre : respect des convictions individuelles d'un côté, garanties de neutralité, de sécurité et de bon fonctionnement de l'autre. Le directeur est le garant de ce subtil équilibre, en ajustant le cadre selon la nature publique ou privée de l'établissement.
Anne-Sophie Moutier
Juriste, formatrice
[i] Article L121-2 CGFP
[ii] CE, 3 mai 2000, n° 217017 ; CE, 15 octobre 2003, n° 244428
[iii] art. 11 de la Charte des droits et libertés de la personne accueillie
[iv] Halde, délibération n° 2010-166 du 18 octobre 2010
[v] C. trav., art. L. 1321-2-1
[vi] Arrêt Baby Loup, Cass. ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28369
