Surcharge managériale, concurrence territoriale, délitement des ressources humaines... Les directeurs d'Ehpad font face à des tensions multiples. Pourtant, leur rôle est central pour la stabilité du secteur du grand âge. Prendre soin d'eux et des professionnels qu'ils encadrent devient une priorité aussi stratégique qu'éthique.

Dirigeants d'Ehpad, un programme de formation en trois volets
Un poste sous haute pression : conjuguer toutes les contradictions
Souvent assimilée à une simple fonction de gestion, la direction d'un Ehpad est une fonction stratégique, multidimensionnelle et sous tension permanente. Les directeurs se retrouvent au coeur de toutes les contradictions : économiques, humaines, juridiques, sociales, éthiques, sécuritaires... Ils doivent conjuguer injonctions de sécurité, politique de bientraitance, équilibre budgétaire, exigences réglementaires, stabilité et formation des équipes, attractivité du secteur, confiance des familles, qualité de l'accompagnement et bien-être des habitants, qualité alimentaire, politique RSE... Souvent seuls face à des arbitrages impossibles, sans espace de dialogue structuré ni soutien managérial spécifique, malgré les échanges avec le « Siège » pour tous ceux qui en bénéficient. L'épuisement devient structurel.
Des chiffres alarmants qui doivent nous alerter !
En 2023, la Fnadepa[1] a interrogé ses 1 500 adhérents. L'enquête révèle une dégradation sur plusieurs sujets par rapport à 2022 :
- Près de 80 % des établissements manquent de personnel, même si la situation s'est légèrement améliorée.
- Un Ehpad sur cinq a dû fermer des lits faute de professionnels.
- Plus de 90 % se déclarent déficitaires, une augmentation de 28 points.
- 50 % des directeurs envisagent de quitter leur poste (contre 43 % l'année précédente).
Et pourtant, ils doivent remplir les lits à tout prix pour maintenir le taux d'occupation (TO), clé de leur équilibre financier. A ce stade, le travail des directeurs est davantage perçu comme une source d'épuisement que comme une source d'épanouissement. La spirale infernale s'installe.
Une concurrence territoriale contre-productive
Plutôt que de favoriser une logique de complémentarité avec les acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux, les Ehpad se trouvent en rivalité constante pour attirer résidents, familles, financements et professionnels. Cette dynamique pourrait être vertueuse si elle favorisait l'excellence. Mais en pratique, la priorité devient l'atteinte du taux d'occupation, même si les infrastructures ou les compétences des équipes ne sont pas adaptées. Cette logique concurrentielle renforce les risques de maltraitance, de privation de liberté des habitants au nom de la sécurité... Accueillir un résident coûte que coûte, pourvu qu'il soit « rentable », a un prix : tensions accrues dans les équipes, absentéisme, rotations, perte de sens qui augmentent immédiatement les troubles du comportement et les axes de violence de la part des résidents. La spirale infernale s'emballe.
Un exemple concret : les unités Alzheimer
Aujourd'hui, la majorité des personnes accueillies souffrent de troubles neuro-évolutifs (Alzheimer, A corps de Lewy). De nombreux établissements ont ouvert des unités fermées, les fameuses Unités de vie protégées (UVP), présentées comme des espaces sécurisés lors des visites aux familles. Mais qu'en est-il du nouvel arrivant, désorienté, enfermé au nom de sa propre sécurité ? Les comportements violents augmentent, les soignants sont démunis, craignent pour leur sécurité et celle des autres résidents. Certains professionnels prennent des coups, se retrouvent en arrêt maladie, d'autres changent de service. L'accompagnement perd tout son sens.
La formation : une clé indispensable mais sous-exploitée
La formation à l'accompagnement des personnes malades d'Alzheimer ou apparentées est recommandée mais insuffisamment déployée depuis le Plan Alzheimer. Les formations initiales sont centrées sur le soin, qui ne représente pourtant que 30 % du temps des soignants. La formation continue est indispensable, les directeurs et même les professionnels en ont bien conscience. Chaque fois, ils constatent les bénéfices immédiats : meilleure qualité de vie au travail, confiance des familles, accompagnement plus respectueux. Mais organiser ces formations est devenu complexe, surtout en période de sous-effectif et avec l'interdiction du recours aux intérimaires pour raisons budgétaires. Résultat : sentiment d'impuissance, perte de compétences, déqualification perçue. La spirale infernale cavale.
De la compliance[2] à la sollicitude pour prendre soin de ceux qui prennent soin des autres
Respecter et maitriser les règles sont nécessaires pour agir en toute liberté et sécurité. Mais les directeurs ont aussi besoin de toute notre sollicitude. Pour rappel, la sollicitude est une posture active de bienveillance, centrée sur l'écoute, le respect et la préoccupation sincère pour le bien-être de l'autre. Elle s'inscrit dans l'éthique du « care » : responsabilité, attention, soutien. La formation est un outil à son service. C'est ce que propose le programme en trois volets conçu par Ilex.
Un programme structuré : trois formations pour accompagner autrement les cadres dirigeants
Pour sortir de cette spirale infernale, il est indispensable d'accompagner les directeurs par un programme structuré sur chaque territoire[3] afin d'apprendre à se connaitre et à travailler ensemble.
Libertés, Sécurité, Responsabilités : restaurer le pouvoir d'agir, clarifier ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas, identifier les risques. Questionnaire problématiques prioritairesLe virage domiciliaire : de résidents à habitants : repenser les établissements en « Ensemble d'Habitats Partagés pour l'Autonomie et la Dignité », où chaque personne est un habitant à part entière.Emploi des seniors : comprendre, prévenir, agir : valoriser les fins de carrière, transformer les vulnérabilités en leviers d'adaptabilité et d'innovation sociale et managériale. Questionnaire temps de travail idéal.Rompre avec les logiques concurrentielles et construire l'avenir
Les directeurs d'Ehpad sont un des piliers du secteur du grand âge. Sans eux, pas d'équipes soudées, pas de projets cohérents, pas de dynamique d'amélioration continue. Mais ils ne peuvent porter seuls un modèle sous tension.Les accompagner, les former, les reconnaître, les « bien traiter », c'est investir dans la qualité de l'accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité. Comme le souligne régulièrement Johan Girard[4], le pouvoir d'agir des managers est une des clés des organisations bientraitantes. Le défi est immense, mais la voie est claire : coopérer, former, accompagner, transformer. L'Ehpad de demain est celui qui fait sens pour les habitants comme pour les professionnels. Il est en route, les directeurs prenant désormais la tête d'un Ensemble d'Habitats Partagés pour l'Autonomie et la Dignité. Pour que même les directeurs deviennent « des esprits libres[5] ». La spirale idéale s'enflamme.