Dans le n° 90-mars 2018  - Retour sur 10 ans de politiques vieillesse  9798

Claudy Jarry, président de la FNADEPA

Alors que la FNADEPA organisait en janvier dernier sa journée nationale, Claudy Jarry, son président, s'est livré à un exercice délicat : dresser le bilan de 10 années de politiques vieillesse. Un exercice réalisé avec brio sur lequel il revient pour Géroscopie. Interview.

Vous venez d'organiser la 10è édition de la Journée de la FNADEPA. Que dire d'abord de cette journée ? Quel bilan en tirez-vous et notamment de l'absence remarquée de la ministre ?

Claudy Jarry : Je ne sais pas si son absence était remarquée. Ce qui est sûr c'est que ses prérogatives s'inscrivent dans un périmètre très large. Elle n'a pas de secrétaire d'état et aucun conseiller technique pour la représenter dans les colloques. J'espérais sa venue mais sans garantie. En ce qui concerne notre journée, c'est un énorme succès. Nous avons accueilli un nombre record de participants, à une période où les politiques vieillesse sont un peu à l'arrêt. Cette journée est aujourd'hui vraiment reconnue comme un moment qualitatif. Nous en sommes très satisfaits.

Vous avez évoqué un tsunami démographique et un indice du vieillissement insoutenable...

Claudy Jarry : Le vieillissement de la population est un phénomène tristement prévisible, auquel on ne s'est pas bien préparé. Philippe Bas en son temps (ex ministre délégué aux personnes âgées), avait parlé de tsunami, en référence à des images télévisuelles fortes. On ne peut pas dire que rien n'a été fait mais les choses faites ne l'ont jamais été pour de bonnes raisons : la canicule de 2003 a créé une émotion forte parmi nos concitoyens, une journée de solidarité a été décidée, puis se sont succédés les plans de Jean-Pierre Raffarin et de Philippe Bas... Le vrai défi reste d'affronter cette évolution démographique qui va encore mettre la pression sur notre société et le financement du grand âge. C'est insoutenable si on n'élabore pas rapidement une offre d'accompagnement, qui ne peut pas se résumer à un nombre de lits ou de places, mais qui est davantage une prise de conscience sociétale et se traduit par une action transversale. Luc Broussy parlait d'écosystème favorable, la ministre qui a porté la loi ASV évoquait une transversalité gouvernementale. On voit que cela touche à de nombreux domaines, y compris philosophiques et culturels sur la place du vieux dans notre société. Le vieux a perdu le bénéfice de la rareté. Il y a quelques générations, le vieux détenait le savoir-faire, transmettait aux plus jeunes, et bénéficiait d'une aisance financière. Aujourd'hui, on est passé à une société du jeunisme, de l'enfant roi. Il va falloir agir sur cette question quasi culturelle si on veut que les personnes âgées retrouvent une place dans notre société.

Comment jugez-vous les divers plans proposés au fil des ans ?

Claudy Jarry : Il s'est passé beaucoup de choses il faut le reconnaître mais nous avions des années d'immobilisme à rattraper. Le problème repose surtout sur le fait que les plans n'étaient pas financés. Et puis les attentes ont évolué. La personne âgée aujourd'hui veut rester chez elle le plus longtemps possible. Mais elle n'est pas opposée à l'EHPAD en cas de perte d'autonomie. Se pose cependant la question de l'accessibilité économique, qui interroge nos modèles anciens et futurs. Vers quoi veut-on aller pour offrir des solutions aux personnes âgées ? et à quel coût ? On est en pleine mutation. Notre société doit devenir agile. Tout change extrêmement vite. Il faut donc s'adapter en permanence. Ce n'est pas la création d'un jour férié ou la mise en place d'un ou deux petits plans qui vont apporter une réponse pour le plus grand nombre et stabiliser la situation pour 20 ans.

La loi HPST par exemple a eu de positif qu'elle a mis en germe la concentration d'établissements. Avec la création des ARS, elle a permis le lancement d'appels à projets. On voit bien qu'il faut se regrouper, travailler ensemble. Les gros opérateurs associatifs se sont d'ailleurs développés. Cela permet de mieux répondre aux contraintes économiques mais cela ne bouleverse pas véritablement l'offre en direction des personnes âgées.

Alors est-on dans une impasse ?

Claudy Jarry : Après la canicule de 2003, le soufflé est retombé. On est revenu sur des taux d'évolution de l'Ondam beaucoup trop faibles par rapport au défi. Il va falloir agir sur deux leviers.

Bien sûr il faut des moyens financiers pour faire vivre les modèles d'aujourd'hui. On ne sait pas si les EHPAD seront des solutions pérennes dans 20 ou 30 ans. Aujourd'hui ils accueillent en tous cas une perte d'autonomie toujours plus grande. Et ont besoin de personnels, à défaut de quoi la machine se grippe et l'absentéisme s'envole. Alors il y a cette réalité mais dans le même temps, il faut réfléchir à la manière dont voudront vivre les personnes âgées demain et quelles sont les solutions nouvelles à imaginer. Nous devons repenser les modalités d'hier pour produire aujourd'hui plus de qualité, avec des moyens qui doivent évoluer, certes, mais de manière raisonnable. La silver économie et l'innovation digitale peuvent sur ce point apporter des réponses.

Sur la question de l'absentéisme, il faut bien sûr plus de personnels mais nous devons surtout interroger la manière dont ce personnel travaille, avec quels outils, dans quelles conditions. Le manque de moyens ne doit pas nous empêcher de réfléchir à l'évolution des structures actuelles et la conception de nouveaux modèles demain.

Enfin nous devons être capables d'appréhender la montée en puissance du nombre de personnes âgées, dont celles en perte d'autonomie. Il faut donc de l'argent c'est certain mais nous devons aussi et surtout chercher des voies nouvelles.

La manifestation du 30 janvier n'a pas été un véritable succès contrairement à ce que tout le monde crie partout. Qu'en pensez-vous ?

Claudy Jarry : Notre secteur a une longue histoire de service et d'accueil des plus fragiles qui impacte ce que l'on observe aujourd'hui.

Le personnel fait corps avec son métier, et la frontière entre ce qu'il est et ce qu'il fait est parfois difficile à définir.

Ce secteur n'est historiquement pas dans la revendication. Ce n'est donc pas surprenant qu'il ne se retrouve pas massivement dans la rue. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas des difficultés, des souffrances et une vraie frustration à voir ce qu'il y a à faire et de ne pas être en capacité, tous les jours, de répondre à une demande, jugée parfaitement légitime.

Il semble que le gouvernement n'a pas identifié cette problématique du vieillissement ou l'a sous-évaluée. Les manifestations de l'été dernier ont produit quelques réactions. La première mission Iborra fait partie des premiers signaux positifs qu'il reste à concrétiser. A la FNADEPA, nous avons hâte de voir arriver des plans d'action financés et une vraie projection sur l'avenir. L'heure n'est peut-être pas encore arrivée mais ce gouvernement devra poser des jalons d'une politique durable, financée, en direction des personnes âgées pour qu'elles soient mieux accompagnées, et en direction des personnels pour réduire leur souffrance. On jugera sur pièce.

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