Entre explosion démographique et viabilité économique, le laboratoire des solutions de demain livre ses projets pour 2030. Interview.
« Le labo ambitionne de capitaliser, comprendre et diffuser des solutions structurantes et inspirantes de transformation ».
Comment est né le Laboratoire des solutions de demain ?
Brigitte Bourguignon, Ministre déléguée chargée de l'Autonomie, a annoncé en 2021 la création de cette structure, pour faciliter l'intégration d'un laboratoire d'innovations public au sein de la CNSA. Sa mission : éclairer, outiller, accompagner la transformation de l'offre médico-sociale, et plus particulièrement des Ehpad, afin de les aider à rendre ces lieux de vie à la fois sécurisants et ouverts sur la société. Le « labo » s'inscrit dans la dynamique d'investissement et de transformation engagée avec le Ségur de la santé sur la période 2022-2024. Il est financé par des crédits « exceptionnels », sur des fonds européens, et en lien avec le plan d'aide à l'investissement (PAI) qui accompagne la modernisation des ESMS, dans une logique de co-construction à la fois pluridisciplinaire et d'outillage opérationnel. Le laboratoire est intégré à une équipe investissement immobilière au sein d'une direction « Appui au pilotage de l'offre » de la CNSA. Il porte cette dynamique pour capitaliser, comprendre et diffuser des solutions structurantes voire inspirantes de transformation.
Quels types de projets sélectionnez-vous ?
Lors de la Saison 1 du laboratoire, nous avons lancé un appel à projets, novateur pour le secteur, « Un tiers-lieu dans mon Ehpad ». Il a permis de financer et documenter des initiatives, à mi-chemin entre le lieu d'habitation, le lieu de travail et le bassin de vie des habitants autour. 320 dossiers ont été transmis à la CNSA pour 25 lauréats, dont 24 effectifs. Le labo, tout jeune, s'est appuyé sur cette première initiative pour créer des outils, et notamment concevoir un guide « Comment générer une dynamique de tiers-lieu en Ehpad ? ». Il a aussi permis la réalisation d'un Manifeste éclairant la vision portée par le Laboratoire sur des projets à gouvernance participative, intégrant des usagers, des aidants, des équipes. Il est apparu important que ces projets puissent bénéficier d'une méthodologie de suivi, porter des initiatives d'assistance à la maîtrise d'usage (AMU) et faciliter l'implication des différentes parties prenantes (résidents, soignants, familles) mais aussi de personnes extérieures aux Ehpad (riverains, élus locaux, co- financeurs...).
Cela vous a-t-il permis de définir une nouvelle génération d'Ehpad ?
Oui nous avons identifié cinq piliers importants, qui ont été documentés dans une circulaire de la DGCS et de la CNSA le 24 septembre 2021 : le sentiment d'être chez soi, la capacité d'ouverture vers l'extérieur des établissements, le fait de faciliter les soins pour lutter contre la sinistralité des soignants mais aussi rendre les soins plus discrets, la viabilité économique dans un contexte de difficultés financières, et la qualité de conception qui s'inscrit dans une démarche de décarbonation de la branche autonomie portée par la CNSA.
Quels enseignements tirez-vous de la première saison ? Quels changements concrets observez-vous dans les modes d'accompagnement des projets ?
Forts des retours des membres permanents du Labo, une feuille de route a été présentée le 22 novembre 2024, pour lancer la saison 2, avec cinq objectifs principaux : fédérer les acteurs du secteur médico-social ; outiller ces mêmes acteurs en élargissant le public cible des directions d'Ehpad aux programmistes et architectes car l'un des enjeux de la transformation immobilière de l'offre médico-sociale repose aussi sur la capacité à pouvoir concevoir des projets inscrits dans une démarche de transformation et pas seulement de modernisation ; accompagner les projets avec des supports de vulgarisation, de sensibilisation et d'information pour capitaliser et modéliser des initiatives structurantes, inspirantes et en lien avec des programmes financés par les ARS sur crédits de la CNSA. Le quatrième objectif est d'opérationnaliser le laboratoire en appui aux ARS et aux Conseils départementaux. L'idée est de pouvoir répondre à tous leurs besoins (expertise extérieure, regard sur la faisabilité d'un projet, composition d'un troisième collège pour un concours d'architecture...) ; Enfin, explorer tous nouveaux sujets en lien avec la transformation immobilière. Cette perspective systémique ambitionne de créer du lien avec les agents, et de travailler en synergie et de manière transversale.
Les 24 tiers-lieux financés dans le cadre de l'appel à projets ont-ils permis d'autres réalisations ?
Avant-gardistes, ces tiers-lieux ont pu impulser une dynamique de changement dans le secteur. Si ce premier millésime a parfois pu manquer de soutien tant méthodologique que conceptuel sur la vision de ce qu'était un tiers lieu, il a pleinement contribué à la formalisation d'un guide pour le secteur. Cet appel à projets 2021 a d'ailleurs évolué dès l'année suivante en PAI Tiers lieux (pour la période 2022 à 2024). Maintenant, toute demande de tiers lieux en Ehpad est éligible dans le cadre plus large du PAI Immobilier. A date, 83 projets sont en cours de financements, ce qui fait plus d'une centaine de projets financés par la CNSA en Ehpad. En parallèle, la CNSA et la Cnav ont développé un partenariat qui a permis sur la période 2022-2024 de financer près de 30 Tiers-lieux en résidences autonomie, pour un budget annuel de 1,5 millions d'euros. Les premiers Tiers-lieux étaient souvent mono service (avec un café solidaire, un jardin partagé, un espace culturel...). Mais c'est une division de la pensée de croire que les Tiers-lieux n'ont qu'une seule fonction. Ils sont multi modaux, et doivent se rendre viables en diversifiant leurs offres de services aux différents publics. Ils doivent aussi pouvoir être réversibles dans le temps car ils répondent à des besoins évolutifs. Nous nous sommes d'ailleurs associés à une Chaire en sciences de gestion du Cnam pour comprendre l'impact des Tiers lieux à la fois en termes de coûts directs et indirects, discrets et invisibles. Nous allons ainsi en 2026 piloter une étude d'impact des tiers-lieux en Ehpad et en résidences autonomie.
On parle beaucoup de transition durable et d'éco responsabilité. Sommes-nous prêts pour accueillir correctement le pic démographique de 2030 ?
On connait les forts enjeux démographiques. Ils marchent en pics (2030 et 2050) avec une croissance qui elle fonctionne plutôt par vagues. Le rapport de l'Igas a préconisé la création de 100 000 places d'ici à 2030. Sur la période 2022-2024, près de 601 Ehpad ont été soutenus dans le cadre du PAI Immo. Cela représente le financement de 48 713 places. Il faudrait des crédits supplémentaires c'est certain. Mais la CNSA a porté cette année l'exploration et le soutien des habitats intermédiaires pour proposer une diversité de solutions dans le parcours résidentiel des plus âgés.
Avez-vous identifié des leviers d'innovation particulièrement prometteurs ?
Le sujet est d'abord de savoir ce qu'est une innovation, au-delà d'une « nouvelle solution ». Elle vise à avoir un impact à la fois efficient, en faveur de la qualité de vie des personnes comme du travail des équipes. Au laboratoire, on croit fort à l'assistance à la maîtrise d'usage, identifiée lors de la saison 1. C'est vraiment une démarche participative qui permet de mettre les différentes parties autour de la table et de faciliter leur implication volontaire, partenariale et collégiale à toutes les étapes du projet. Le laboratoire élabore des outils et des méthodes pour accompagner ce travail. L'innovation, c'est aussi l'ingénierie financière et partenariale, pour boucler des opérations complexes. C'est important de faciliter le recours à des prestations intellectuelles des établissements.
Quelles sont vos perspectives pour 2026 ?
Nous allons finaliser un outil AMU digitalisé à destination des directions d'Ehpad. Il sera accessible via notre espace d'E-learning, et permettra à tout demandeur de PAI immobilier de s'acculturer aux enjeux de transformation, pour élever dès le départ le niveau des projets, et faciliter ainsi l'implication des différentes parties prenantes. Le 2è objectif pour 2026 est de produire et diffuser différents supports médiatisés (comme des fiches pratiques, capsules vidéos, podcasts audios... ou des visites virtuelles d'Ehpad, immersives, pour aider les établissements à se projeter dans des transformations en 3D. L'idée : apporter conseils et remarques précises aux programmistes, architectes ou directions. Il peut s'agir d'idées simples et concrètes comme le retrait réversible des miroirs dans les salles d'eau de personnes souffrant de troubles cognitifs. Elles sont parfois atteintes de prosopagnosie (incapacité à reconnaître le visage de leurs proches mais aussi le leur). Le reflet de leur image dans le miroir peut alors majorer des troubles du comportement. Cette attention portée à la connaissance des professionnels crée ainsi une démarche vertueuse. Nous voulons enfin personnaliser le Labo en appui aux Conseils départementaux, notamment dans la préparation de leurs schémas départementaux à l'autonomie.
Propos receuillis par Juliette Viatte
