Dans le n° 172-novembre 2025  - Dominique Coudreau, Président du Conseil d'administration de la Fondation Partage & Vie  18383

"J'ai vécu, tous les jours pendant deux mois, dans la proximité immédiate d'un Ehpad"

Depuis 6 ans, la Fondation Partage & Vie publie un ouvrage à l'issue de ses « Estivales », rencontres autour des enjeux éthiques du grand âge. En 2025, il porte sur la délicate question de l'adaptation au changement de vie qu'induit l'Ehpad.


Illustré d'exemples concrets et de paroles d'experts, L'entrée en EHPAD, comment s'adapter au changement de vie ? s'adresse aux personnes âgées, professionnels, responsables d'établissements, familles, aidants et bénévoles. Le contenu de cet ouvrage, réalisé sous la direction de Roger-Pol Droit et Dominique Coudreau, est dense. Il réunit témoignages de familles, de proches, de professionnels et analyses des dispositifs à l'oeuvre. Parce qu'il nous a particulièrement intéressés, nous vous proposons d'en découvrir quelques pages en avant-première.

Vous livrez un témoignage poignant. Pourquoi avoir choisi de partager votre expérience ?


Dans ma vie de haut fonctionnaire, il semblait inconvenant de s'épancher sur ses états d'âme. L'introspection publique était un territoire interdit, sauf à écrire ses mémoires, mais toujours sous le voile protecteur de la distance. Voilà près de dix ans que je préside cette fondation et, d'une certaine manière, le temps était venu de dire ce que je pense de ce métier et de ceux qui le pratiquent. Les témoignages possèdent cette force singulière d'être l'argumentaire le plus désarmant. On raconte ce qui nous est arrivé, sans chercher à convaincre. Chacun y puise ce qui résonne en lui. Je voulais parler du monde des Ehpad, si souvent malmené dans le débat public. Cette expérience familiale m'est apparue comme une occasion rare : pendant deux mois, j'ai côtoyé au plus près ceux qui font vivre ces lieux.

En quoi cette expérience a-t-elle transformé votre regard sur les Ehpad ?


Dans tous les milieux professionnels, on se forge des représentations. Jusqu'à ce qu'on soit confronté aux vraies gens. J'ai découvert un monde féminin pour l'essentiel. Les hommes y sont rares, cantonnés peut-être aux équipes d'entretien. Auprès des résidents, ce sont presque exclusivement des femmes qui oeuvrent, des aides-soignantes. J'ai appris à mettre des noms derrière les visages. Ce qui m'a bouleversé, c'est d'avoir découvert des résidents apaisés, portés par un sentiment de sécurité. Ils menaient une vie réglée, tranquille. Je ne m'y attendais pas. Nourri des récits sur l'agitation des personnes atteintes de maladies neurodégénératives, j'imaginais un quotidien chaotique. J'ai trouvé une communauté paisible. Avec certains résidents, j'ai même partagé des conversations intéressantes. Quant au personnel, partager leur quotidien fut une révélation. Comprendre ce qui les pousse à choisir ce métier, découvrir qu'elles s'y engagent par conviction profonde, qu'elles aiment ce qu'elles font. C'est un métier exigeant qui réclame un engagement personnel dans la relation à l'autre. La découverte des aides-soignantes a été un véritable choc. Je n'avais pas mesuré l'ampleur de leur dévouement. Dans ma carrière, j'ai beaucoup fréquenté le secteur sanitaire, mais l'Ehpad relève d'un univers à part. À mon âge, je me suis surpris à penser que, contrairement aux idées reçues que je nourrissais, vivre en Ehpad n'avait rien de terrible. D'ailleurs, en tant qu'aîné de ma fratrie, c'est à moi qu'il est revenu d'accompagner maman vers l'Ehpad. Veuve, elle ne pouvait plus rester à domicile. Elle y a passé huit ou neuf années. Nous l'emmenions en vacances en Bretagne, ces parenthèses ponctuaient son quotidien, mais elle a vécu cette période avec sérénité. Ce qui me frappait, c'était cette sécurité qu'elle dégageait.

Pensez-vous que ce calme, cet aspect paisible que vous décrivez, peut être lié au caractère non lucratif de l'établissement ? La philosophie est-elle différente ?


Un temps, ma femme a dû aller dans un Ehpad commercial, proche de notre domicile. Les différences sautent aux yeux - et je ne parle pas du prix. On perçoit que le personnel évolue sous la contrainte de directives plus strictes, dans un cadre plus rigide. Dans l'Ehpad associatif, j'ai ressenti quelque chose de l'ordre de la communauté. Le comité de direction l'incarne bien. Un Ehpad n'est pas une entreprise complexe dans sa structure, mais l'animation humaine qu'il requiert exige un savoir-faire délicat : ce juste équilibre entre fermeté et compréhension des personnes, cette capacité à délivrer les bonnes consignes tout en restant vigilant dans leur application. Le moindre relâchement peut fragiliser l'équilibre. Ces professionnels n'ont pas choisi ce métier par hasard. Ils sont compétents et, au sein de la Fondation Partage & Vie, j'observe une remarquable stabilité des équipes de direction.

Mini bio

Dominique Coudreau

Président du Conseil d'administration de la Fondation Partage et Vie

Ancien élève de l'ENA, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, Dominique Coudreau a exercé des fonctions de direction dans le secteur public comme privé. Il a été Directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés, Fondateur et Directeur de l'Agence française de lutte contre le SIDA, Directeur de l'Agence régionale d'hospitalisation de l'Ile-de-France. Il a une expérience reconnue dans le secteur privé à l'Union des Assurances de Paris, à Hexagone Hospitalisation et, en tant que conseiller du Président du groupe Générale de Santé. Il est également Président de BAQIMEHP - l'institut de formation de la Fédération de l'Hospitalisation Privée (FHP). Il est Officier de la Légion d'honneur.



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