L'évaluation et la prise en charge de la douleur des résidents en Ehpad sont essentielles pour garantir leur bien-être et prévenir une dégradation de leur qualité de vie. Des outils existent pour la mesurer et adapter l'accompagnement.

Soulager la douleur en Ehpad : entre vigilance et adaptation des soins
Les origines de la douleur
« La prévalence de la douleur chronique augmente avec l'âge, souligne Karine Constans, infirmière ressource douleur au Centre hospitalier de Beauvais et co-responsable de la commission infirmière au sein de la Société française d'étude et de traitement de la douleur (SFETD). Le vieillissement entraînerait des changements de perception de la douleur, il est donc essentiel d'y être particulièrement attentif. »
Les principales causes de douleur chez les personnes âgées sont multiples. Il peut s'agir de maladies rhumatologiques (ostéoporose, arthrose, polyarthrite rhumatoïde) ; maladies bucco-dentaires ; maladies urologiques ou gynécologiques ; pathologies gastro-intestinales ; maladies oculaires et auditives ; soins médicaux et paramédicaux (nettoyage des plaies, réalisation de pansements, certains examens).
L'importance du dépistage et d'une évaluation régulière
« A l'entrée d'une personne âgée en Ehpad, une analyse systématique de sa douleur est recommandée, rapporte Karine Constans. Elle doit être renouvelée dans les quinze jours puis à la demande du résident, de ses proches, lorsque l'équipe de professionnels a un doute ou devant tout symptôme évocateur. »
En cas de douleur, un dépistage régulier est encouragé afin d'en mesurer l'évolution. Chez les résidents non communicants, notamment ceux qui présentent des troubles cognitifs, l'expression de la douleur est parfois difficile voire impossible. « Une évaluation régulière, ou celle effectuée selon un protocole de soins avec des outils adaptés, participe à l'identification d'un résident douloureux », ajoute l'infirmière. Parmi les points d'attention dont il faut tenir compte : le changement de comportement. « Si une personne non communicante, habituellement sujette aux cris, devient soudainement mutique - ou inversement -, c'est le signe qu'il se passe quelque chose dans son corps qui doit alerter, illustre Karine Constans. Le doute doit lui profiter. »
D'autres réactions doivent alarmer : si lors d'un soin la personne retient la main de celui qui la soigne, si elle prend une position antalgique, grimace, crispe les sourcils, etc. « Il faut comparer le comportement actuel à l'attitude habituelle pour déterminer une douleur éventuelle », précise Karine Constans.
Les outils d'évaluation
Pour évaluer la douleur objectivement, il est possible d'utiliser des échelles validées.
Chez la personne âgée communicante, il faut privilégier les outils d'auto-évaluation de la douleur. « Le patient exprime le type et l'intensité de la douleur, sa localisation, la temporalité (la nuit, le jour, la durée, pendant ou après un soin, etc.), la date de début de la douleur, les facteurs aggravants, soulageants et le retentissement sur sa vie quotidienne », énumère Karine Constans.
Lorsque le senior est non communicant, il existe aussi des échelles d'hétéroévaluation dédiées et validées, utilisées par une tierce personne sur la base de son observation, et non du ressenti.
L'échelle Algoplus repose sur cinq domaines d'observation :
- le visage : froncement des sourcils, grimaces, crispations, mâchoires serrées, visage figé ;
- le regard : regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant, pleurs, yeux fermés ;
- les plaintes : gémissements, cris ;
- le corps : retrait ou protection d'une zone, refus de mobilisation, attitudes figées ;
- le comportement : agitation ou agressivité, agrippement.
Cet outil est particulièrement recommandé pour le dépistage et l'évaluation des pathologies douloureuses aigües (fracture, période post-opératoire, ischémie, lumbago, zona, rétention urinaire) ; des accès douloureux transitoires (névralgie faciale, poussée douloureuse sur cancer) ; ou encore pour les douleurs provoquées par les soins ou les actes médicaux. Chaque item coché « oui » compte pour un point et la somme des items permet d'obtenir un score total sur cinq. S'il est supérieur ou égal à deux, une douleur est présente.
L'échelle Doloplus peut, quant à elle, être utilisée pour l'appréciation des douleurs chroniques. Plus longue, elle comporte dix items répartis en trois sous-groupes, proportionnellement à la fréquence rencontrée (cinq items somatiques, deux items psychomoteurs et trois items psychosociaux). Chacun est coté de 0 à 3 (cotation à quatre niveaux exclusifs et progressifs), ce qui amène à un score global compris entre 0 et 30. La douleur est clairement affirmée pour un score supérieur ou égal à 5 sur 30.
« Utiliser ces échelles d'évaluation de manière régulière permet aux professionnels de voir si les actions mises en place soulagent ou non la personne âgée », précise Karine Constans.
Agir en prévention
L'anticipation et la prévention sont essentielles pour réduire l'impact de la douleur chez les personnes âgées. Plusieurs approches peuvent être mises en place à commencer par encourager la mobilisation. « Un corps inactif est généralement plus douloureux et sujet aux douleurs articulaires, rappelle Karine Constans. L'activité physique adaptée permet notamment d'éviter leur survenue. » L'aménagement des soins réalisés en binôme permet aussi de s'adapter à la personne.
Les équipes peuvent également avoir recours à des méthodes non médicamenteuses, telles que les pièces Snoezelen qui participent à l'apaisement, le toucher-massage, l'hypnose ou encore la communication positive.
Enfin, elles peuvent utiliser des dispositifs antalgiques notamment le gaz Meopa pour la réalisation de soins douloureux ou encore la Tens, un stimulateur électrique transcutané pour les douleurs chroniques neuropathiques, soumis à la prescription d'un médecin ayant une capacité ou un diplôme universitaire douleur. Il peut aussi être proposé par une équipe d'une structure douleur chronique.
« Plus que tout, il est important de rassurer, écouter et observer les personnes âgées, c'est primordial lorsqu'on est soignant », conclut l'infirmière.