Propriétaire ou locataire des murs des établissements ? L'immobilier représente un élément stratégique dans la politique de croissance des groupes privés commerciaux d'EHPAD. Un Monopoly XXL qui dépasse, pour certains, le périmètre national pour s'étendre à l'international.
Le grand Monopoly des EHPAD
En mars dernier, Icade Santé, société foncière historiquement positionnée sur les cliniques MCO, a réalisé son premier investissement dans le secteur des EHPAD avec l'acquisition de 14 établissements de Residalya, filiale du groupe Ackermans & van Haaren, pour une valeur de 189 millions. Le groupe d'EHPAD restera locataire et exploitant des 14 immeubles, représentant 1 300 lits, dans le cadre de nouveaux baux fermes de douze ans. Sur le plan financier, cette cession d'actifs immobiliers devrait permettre à Residalya « de libérer des moyens supplémentaires pour aborder un programme d'investissements et assurer la croissance future », explique le groupe. Cet exemple illustre bien le fait que l'immobilier s'inscrit à part entière dans la stratégie de croissance des groupes privés commerciaux d'EHPAD.
Stratégies variées
Si les groupes privés commerciaux d'EHPAD sont très attentifs à l'implantation géographique de leurs résidences, leurs choix concernant la détention en propre ou la location des immeubles varient. « Pour le privé commercial, il existe schématiquement deux cas de figure : des gestionnaires uniques ou petits groupes disposant de quelques établissements, privilégiant le mode propriétaire dans une visée patrimoniale. À l'inverse, des groupes de moyenne ou grande taille engagés dans une dynamique de croissance interne ou externe combinent propriété des murs et location avec une tendance à la cession partielle ou totale des murs auprès de partenaires contrôlés ou non par ces groupes », note le cabinet KPMG dans son étude, "EHPAD : vers de nouveaux modèles ?", publiée en 2016.
« Être propriétaire de ses murs suppose un endettement important, cela alourdit les bilans. La valorisation de l'immobilier à l'actif du bilan permet aux groupes de s'endetter auprès des banques ou de lever des capitaux en Bourse. Par ailleurs, la détention en propre de l'immobilier apporte une flexibilité pour réaliser des travaux. Quand on est propriétaire, on décide. Cette marge de manoeuvre est appréciable à l'heure où les opérateurs doivent entreprendre des restructurations, des travaux d'adaptations des établissements pour répondre à l'évolution des besoins des résidents et aux exigences de confort plus élevées. L'évolution des normes comptables (IFRS 16) fait qu'à compter de l'exercice 2019, les baux seront retraités à l'actif et au passif du bilan. Cela va avantager les groupes d'EHPAD qui ont conservé les actifs », analyse Raoul Tachon, consultant spécialise du secteur médico-social.
Propriétaire ou locataire, il faut donc trouver le bon équilibre financier. L'engagement lié aux loyers des murs externalisés est aussi lourd qu'une dette financière pour les groupes. Les loyers peuvent ainsi représenter jusqu'à 15-20% du chiffre d'affaires lorsque les murs sont totalement externalisés comme c'est le cas pour LNA Santé (Le Noble Age) ou DomusVi. « L'évolution annuelle des tarifs d'hébergement des EHPAD privés commerciaux est encadrée par arrêté, chaque année. Si l'indexation annuelle des loyers que doit verser l'EHPAD est plus importante que la progression des tarifs hébergement, cela peut annuler la marge qu'il dégage », souligne Raoul Tachon.
Le choix du 50/50
Certains groupes, à l'instar d'ORPEA et EMERA, ont choisi de couper la poire en deux et d'adopter une stratégie du 50 % en propriété et 50 % en location.
« Le groupe EMERA est très attaché à l'investissement, l'entretien, l'amélioration de ses établissements, qu'il en soit propriétaire ou pas. Au-delà de l'aspect fondamental d'amélioration constante des prestations d'accueil et d'hébergement du résident, pour nos investisseurs partenaires, c'est un gage de qualité que d'avoir un exploitant qui a un niveau d'exigence élevé en matière de qualité et d'amélioration du bâti. Economiquement, cette approche patrimoniale est un amortisseur utile et un outil de création de valeur. Cette politique de détention de 50/50 ne devrait pas être amenée à changer en France. Les futurs développements à l'étranger seront, quant à eux, majoritairement portés par des investisseurs tiers », explique Baptiste Bazire, Manager M&A / Corporate development au sein du groupe EMERA.
De son côté, LNA Santé a fait le choix stratégique de ne pas être propriétaire des bâtiments qu'il exploite, de se concentrer sur son coeur de métier et de consacrer l'essentiel de ses ressources à l'optimisation des conditions d'exploitation et de fonctionnement. « Ce groupe qui se caractérise par des EHPAD de grande capacité (120/130 lits) acquiert un bâtiment ou un terrain, procède à la réalisation des travaux de construction, d'extension ou de rénovation puis revend le tout à des d'investisseurs institutionnels ou privés, sous la forme de Location meublée non professionnelle (LMNP), plus rarement en Location meublée professionnelle (LMP) ou en bloc et il ne garde que l'exploitation », détaille Raoul Tachon.
Partenariat investisseurs/opérateurs
Alors que le groupe ORPEA a toujours adopté la même stratégie immobilière consistant à être propriétaire d'une partie de son parc immobilier, le Groupe Korian, lui, peu porté sur la détention d'immeubles, a changé de cap en 2016. La stratégie affichée est désormais de détenir plus d'actifs en pleine propriété (20% à l'horizon 2020), afin d'optimiser ses coûts d'exploitation entre charges de loyer et frais financiers. En septembre dernier, le Groupe Korian et Icade Santé ont signé un accord cadre, associant Icade Promotion, sur l'accompagnement de Korian dans la reconfiguration et l'expansion de son réseau en France. « Ce type de partenariat entre investisseurs - promoteurs immobiliers et opérateurs d'EHPAD pour la réalisation conjointe d'extension et de travaux de modernisation, voire la construction de nouveaux établissements pourrait, à l'avenir, se multiplier. Il assure aux premiers la détention de nouveaux actifs dans un environnement ultra compétitif et garantit aux seconds un accompagnement dans leurs projets d'extensions et de recherche de foncier », décrypte Cushman & Wakefield, cabinet de conseil en immobilier d'entreprise.
Ce Monopoly géant, dans lequel les EHPAD remplacent les hôtels, devrait intégrer très rapidement une nouvelle donne : celle du marché en plein développement des résidences services seniors.