La révolution attendra !
Tout le monde s'accorde à dire que les EHPAD vont mal et qu'il est urgent d'en revoir l'organisation et les finalités de fond en comble. Mais la révolution espérée se réduit pour le moment à de beaux discours et à des incantations visant surtout à se déculpabiliser. Or, le salut ne viendra pas d'en haut ni de l'imposition magique d'une « culture » de la bientraitance, mais d'un changement progressif des représentations que l'on se fait du grand âge.
On doit déjà tenir compte du phénomène de rejuvénation à l'oeuvre aujourd'hui en Occident : dans une société de plus en plus puérile, la personne âgée est reléguée hors du temps, dans les limbes de l'oubli. Elle n'est pas seulement mise en retrait, loin des regards, elle est aussi tenue à l'écart du présent permanent de la modernité. Il n'est pas étonnant dès lors qu'elle se sente si souvent inutile et intempestive, comme si elle avait largement dépassé sa date d'expiration.
Plutôt qu'une révolution, improbable et aux effets et bienfaits incertains, il faudrait prioritairement travailler sur ces représentations négatives et ne plus prendre pour critère d'évaluation tacite de l'existence individuelle l'utilité sociale supposée : on peut « ne plus servir à rien » et garder pourtant toute sa valeur. Karl Popper opposait ainsi à l'utopie généreuse mais creuse, et parfois même dangereuse, la politique des petits pas (piecemal engineering), modeste mais bien plus efficace.
Avant de promettre un avenir radieux aux personnes âgées, efforçons-nous déjà de leur garantir une vie acceptable ici et maintenant.
Yannis Constantinidès
Professeur de Philosophie - Président du comité d'éthique d'ADEF Résidences