Tout commence il y a 5 ans. Des pionniers, directeurs et directrices engagés, décident d'installer une crèche, un bistrot, un jardin partagé ou un espace de coworking au sein de leur établissement. Ils font le pari de s'ouvrir à de nouveaux publics. La Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie (CNSA) repère ces initiatives et décide de soutenir ce nouveau modèle en lançant en 2021 l'appel à projets « Un tiers-lieu dans mon Ehpad ». À la clé : un financement et un accompagnement dédié pour mettre en place un projet d'ouverture sur le territoire. L'institution reçoit alors 420 candidatures pour 25 dossiers sélectionnés. Les projets retenus sont très variés mais ont tous en commun l'ambition de changer l'image de l'Ehpad et de lutter contre l'isolement des seniors en y faisant entrer de nouveaux publics. Depuis, l'idée a fait son chemin, des financements ont été attribués par les ARS et de nombreux établissements ont déjà sauté le pas. Ils seraient près d'une centaine en France, même s'il n'y a pas encore de recensement officiel. Alors, pourquoi pas vous ?

Concrètement, qu'est-ce que cela change ?

Ces projets, loin d'être cosmétiques ou « sympathiques », ont des impacts très positifs sur les structures qui les ont mis en place. Ils répondent notamment à deux enjeux majeurs du secteur : le recrutement et la fidélisation des salariés, et l'amélioration du taux d'occupation.

Les salariés demandent davantage d'autonomie et la possibilité de travailler sur des sujets transverses en dehors des tâches répétitives liées au soin, afin d'améliorer les conditions de travail. Plusieurs études, dont l'enquête Cahier Attractivité des métiers du prendre soin et du lien : Pourquoi on candidate, on tient, on s'en va, soulignent leur besoin de coopérer/collaborer plus étroitement avec les acteurs internes et externes de l'établissement. La mise en place d'un projet d'ouverture sur l'extérieur répond à ce désir en permettant à un groupe projet composé de soignants, mais parfois aussi de résidents et de leur famille, de travailler avec plus d'autonomie sur un projet fédérateur et différent de leurs tâches habituelles. Cette démarche permet aussi d'impliquer dans l'élaboration du projet des acteurs externes (associations, écoles, crèches, par exemple). Enfin, ces projets offrent l'opportunité aux soignants de développer de nouvelles compétences et d'évoluer en interne. Tous ces aspects contribuent à améliorer la motivation des personnes impliquées, attirer de nouvelles recrues et garantir la stabilité des équipes pour faire perdurer le projet dans le temps. Laurent Boucraut, par exemple, a créé un tiers-lieu proposant de nombreuses activités dans son établissement Les Jardins d'Haïti (crèche, restaurant ouvert sur le quartier, cours de musique...). « Nous n'avons aucun turn-over », confirme t-il fièrement.

Cette dynamique de tiers-lieu est une réponse directe à la défiance des familles. Elle favorise la restauration de la confiance en montrant que l'établissement accueille sans inquiétude des personnes extérieures. Cette dynamique offre aussi l'opportunité à des familles ou des seniors qui ne sont pas encore dans l'établissement de le découvrir différemment et peut-être de susciter l'envie d'y devenir résident. Enfin, elle vient réduire l'isolement des plus âgés et améliorer leur qualité de vie en permettant d'intégrer de nouveaux publics ! À Frontignan, Lionel Wilzius a constaté une augmentation des visites des familles et de leur durée depuis la mise en place du café solidaire.

Alors comment s'y mettre ?

Ces retombées positives donnent envie mais elles ne sont pas arrivées du jour au lendemain. Elles exigent de la méthode pour mettre en place un projet d'ouverture viable et dynamique. Il ne s'agit pas simplement d'installer un bar, d'accrocher quelques guirlandes et de décréter « c'est bon, on a ouvert une guinguette intergénérationnelle » pour obtenir les impacts positifs mentionnés. Il est primordial de :

- définir un projet pertinent et adapté aux contraintes et ressources de l'établissement. Il faut donc se demander : qu'est-ce qui peut être mis à disposition (jardin, salle d'animation, place dans le réfectoire, chambre vide), qui sont les personnes motivées et quelles sont leurs envies, quels sont les manques dans le quartier ?

- accompagner le changement culturel : qu'est-ce que la démarche de s'ouvrir sur l'extérieur suppose ? Qu'est-ce que cela va modifier dans les habitudes, comment identifier et travailler avec de nouveaux acteurs externes, comment s'assurer que le projet crée vraiment du lien entre les différents publics ?

- trouver les financements et le modèle de fonctionnement adéquat, en se questionnant sur la manière de financer l'aménagement de départ et de pérenniser le projet dans la durée.

Une formation, et si c'était la solution ?

Aucune de ces étapes n'est simple à réaliser, surtout quand on connaît le manque de temps et de moyens des établissements. C'est pourquoi MakeSense, une association et un organisme de formation spécialisé dans le secteur de la santé et du soin, a développé cette année une formation-action pour accompagner les établissements désireux de développer ce modèle d'établissement ouvert sur l'extérieur. 12 Ehpad ont déjà été accompagnés en Occitanie avec le soutien de l'ANAP et de l'ARS Occitanie. Mais MakeSense n'entend pas s'arrêter là. L'association vient de lancer l'accompagnement de 13 structures en Ile-de-France, 10 Ehpad et 3 résidences seniors, avec le soutien de la Région (Innov'Up). Au programme : des méthodes clés en main pour passer de la définition du projet à sa pérennisation, des inspirations et retours d'expériences de projets qui ont fonctionné ailleurs, des temps collectifs pour partager avec d'autres établissements et du suivi individuel pour avancer sur son projet.

Le 20 septembre s'est déroulée la première journée de cette formation originale. Cette première étape était dédiée à la rencontre, pour faire connaissance, présenter ses idées et s'inspirer de projets existants afin d'identifier des facteurs de réussite et des modèles de conduite du changement. Les témoignages des participants sont passionnants et prometteurs. « Plus j'entends les autres parler, plus j'ai envie d'ouvrir d'autres choses », « les rencontres entre les directeurs d'établissements, c'est super enrichissant ».

Les participants ont des profils et projets variés - ferme pédagogique, bistrot, salon de thé, tiers-lieux artistiques, jardin partagé et sensoriel, boutique solidaire - mais chacun est reparti motivé et avec des envies communes pour le secteur : « donner un rôle social à nos résidents », « devenir une place du village », « redorer l'image de l'Ehpad », « permettre aux résidents de s'épanouir comme spectateurs et acteurs des activités et du projet ».

Lors de la prochaine étape, les participants réaliseront le diagnostic des ressources de leur établissement et des besoins de leur territoire avant de choisir et affiner un projet pertinent lors de la seconde journée de formation, qui se déroulera en novembre. Elle aura lieu à La Seigneurie, un Ehpad qui a mis en place le tiers-lieu (re)Trouvaille avec un jardin, un café et une programmation culturelle. Une belle affaire à suivre !