Trois questions à Laurent Barbe, psychosociologue et consultant en politiques publiques et action sociale du cabinet CRESS.
« Les normes mettent les directeurs d'EHPAD dans une posture de soumission »
L'inflation normative dans les EHPAD est-elle la conséquence de la phobie du risque et du principe de précaution ?
On note une fulgurante accélération de l'inflation normative dans les EHPAD cette dernière décennie. La source profonde de ce mal typiquement français est la phobie du risque. Le législateur, les consultants, les cabinets d'audit, la formation, les producteurs de matériel et les attentes sécuritaires des familles de résidents : tous contribuent à la production de normes. En France, il y a une croyance exagérée dans la capacité de la norme à faire changer les pratiques. Le risque est de laisser penser aux professionnels que ce n'est que ce qui est prescrit qui est important. Si on lit, les unes après les autres, toutes les recommandations de l'ANESM il en ressort l'impression que tout a été déjà pensé et qu'il n'y a plus qu'à faire.
Quels sont les impacts sur le fonctionnement des établissements ?
Face à la multitude de normes, aucun EHPAD ne peut être en règle sur tous les plans, ni prétendre qu'il a pris en compte tout ce qu'il aurait dû prendre en compte. Les normes mettent les directeurs d'établissement dans une posture de soumission, de crainte vis-à-vis des autorités de tutelle : Est ce que je suis en règle ? Qu'est ce qui va m'arriver si je ne le suis pas ? Les relations entre autorités de tutelle et établissements s'inscrivent sur un mode accusatoire dans un système déjà en tension sur le plan du financement. C'est ce que l'on a déjà pu constater avec les évaluations externes. Mais quel temps est laissé aux directeurs d'EHPAD et à leurs équipes pour réfléchir sur le sens de leur travail quand ils doivent remplir à longueur de journée, des formulaires, des fiches et des classeurs ?
Certaines normes nuisent-elle à la qualité de vie des résidents ?
Si l'on parle des normes de sécurité incendie, elles contribuent forcément au bien-être des résidents. Mais le culte français de la norme, c'est aussi, par exemple, l'interdiction pour un EHPAD qui a mis en place un potager de laisser les résidents consommer ces légumes sans un contrôle phytosanitaire préalable. Il existe deux conceptions différentes de la qualité. Ceux qui considèrent que la qualité est produite par les protocoles et les procédures; Ceux qui pensent que la qualité doit se vérifier en étant proche et attentif aux attentes des usagers.
Les priorités en EHPAD sont l'organisation du temps de présence des professionnels, la qualité de la prise en charge et la capacité à répondre aux événements indésirables. L'enjeu est de savoir si l'action menée pour les résidents est faite de manière correcte, de continuer à s'intéresser au travail réel et de ne pas céder à la tentation d'agir uniquement au regard de la prescription normative. Il faut assumer de choisir, de définir des priorités raisonnées et de les défendre plutôt que d'imaginer qu'on sera protégé en étant «en règle». Mais ce choix n'est pas toujours facile pour les directeurs d'établissements.