Dans le n° 117-juin 2020  - Jean-Claude Brdenk, directeur général délégué d'Orpea en charge de l'exploitation  11151

« Tout dépendra de la pression qu'on mettra pour regonfler la roue de secours ! »

L'heure n'est pas encore aux bilans, mais Jean-Claude Brdenk, dirigeant du deuxième groupe privé d'Ehpad de France, tire les premiers enseignements des semaines d'épidémie écoulées.

Comment Orpea a-t-il fait face à l'épidémie?

Notre établissement de Changsha en Chine, à 300 km de Wuhan, nous a alertés dès la fin janvier. En deux jours, l'équipe chinoise a révisé l'ensemble de sa procédure de surveillance et prévention des risques infectieux. Le groupe Orpea n'a donc pas été pris de court, cette gestion précoce de la crise lui a permis d'anticiper et de fonctionner de manière proactive dans les 22 pays où il est implanté. En France, pour stopper la chaîne de contamination, nous avons organisé le zoning des espaces et circulations à l'intérieur de nos 350 établissements en moins de 10 jours avec le soutien de nos 48 hygiénistes. Le code couleur était rouge/résidents symptomatiques?; jaune/résidents suspects et vert/sans symptômes - je le rappelle, au départ, nous ne disposions pas de tests, contrairement à l'Allemagne, par exemple. Et parce que nous estimions qu'il était de notre responsabilité de protéger nos 27 000 résidents et patients, tous nos établissements ont été fermés aux visites dix jours avant que le Gouvernement ne nous le demande. Ce qui nous a d'ailleurs valu des protestations des familles, et même des tutelles... J'ai écrit au ministère à ce sujet, j'attends encore la réponse des tutelles. Par ailleurs, nous avons pu aussi intégrer chez nous un parcours Ehpad-clinique...

C'est-à-dire ?

Les personnes âgées ont été peu hospitalisées, il fallait préserver la première ligne. Au moment où je vous parle (le 26 mai, ndlr), en France, plus de 10 000 résidents sont morts en Ehpad, 3 700 à l'hôpital. Combien de temps les hôpitaux auraient-ils tenu si les Ehpad avaient mis le genou à terre?? 48 heures selon certains urgentistes. Les hôpitaux français ont été sauvés par les Ehpad?! En France, le médico-social est considéré comme la roue de secours de l'ambulance hospitalière.

Mais notre filiale Clinea a pu mobiliser ses cliniques de soins de suite et de réadaptation, notamment spécialisées en gériatrie. Elles ont accueilli environ 150 résidents venant des principaux clusters, en particulier d'Île-de- France. Cela nous a permis de contourner les difficultés d'hospitalisation en aigu. Et de sauver des personnes âgées. Au total, nous en avons environ 2 000 soignées ou en cours de guérison.

Quel est le bilan ?

En France, les 7 400 Ehpad accueillent 730 000 résidents et enregistrent entre 150 et 160 000 décès par an. La surmortalité se vérifiera, mais à quelle hauteur, on ne le sait pas. Il faudra attendre la fin de l'année, voire mars 2021. Pour ce qui le concerne, le groupe Orpea évalue le bilan à l'équivalent de trois semaines de décès supplémentaires en Ehpad. Il totalise 553 décès liés au Covid sur l'ensemble de ses 27 000 lits d'Ehpad et de clinique, soit 2?%. Et, facteur à prendre en compte, en Italie et en Espagne, touchées 8 à 9 jours avant la France, la mortalité « normale » a chuté de 40 % ces deux dernières semaines?: en fait, toutes les personnes les plus fragiles sont déjà décédées. Pas forcément les plus âgées, mais les plus pathologiques. On a d'ailleurs vu des reportages sur des centenaires guéris du Covid, ils n'avaient pas de soucis de santé avant.

Progressivement, nous recommençons à admettre de nouveaux résidents, avec priorité à ceux qui ne peuvent pas rester à domicile. Tous nos établissements ont été désinfectés. Nous avons testé l'ensemble de nos résidents mais aussi près de 9?500 collaborateurs (volontaires), il en reste environ 3?500 hors zones Covid. Nous avons utilisé des quick tests sérologiques, une première. Il nous a paru important de savoir qui avait été en contact ou pas avec le Covid entre début mars et fin mai, en complément des tests RT-PCR. En cas de deuxième vague, il faudra mobiliser à bon escient ceux qui ont développé des anticorps.

Et le bilan économique ?

Trop tôt pour le dire. Comme la plupart des grosses entreprises nous avons arrêté toutes nos prévisions pour 2020. Notre préoccupation de l'heure est de continuer à protéger au maximum les résidents et les salariés.

En revanche, l'épidémie n'a pas infléchi notre volonté de développement. Orpea c'est 950 établissements, 87 000 lits, 22 pays, 3 continents. Nous continuons 100 % de notre développement à l'international en matière de maisons de retraite, de cliniques SSR, de cliniques psychiatriques, et également d'aide et soins à domicile, notre quatrième métier.

En France, nous nous concentrons sur les résidences-services et l'aide à domicile - Orpea a racheté en 2015 les réseaux Domidom et Adhap. Plusieurs centaines de milliers de personnes âgées en GIR1/GIR3 vivent chez elles, et on l'a vu avec l'épidémie, les services à domicile ont eu du mal à faire front, parce qu'ils ont manqué de tout, masques, matériels.

Les Ehpad ont focalisé l'attention...

On a montré du doigt certains Ehpad qui ont connu de nombreux décès... Pourquoi n'avez-vous pas isolé?? Avez-vous bien confiné?? C'est oublier un peu vite que la moyenne d'âge des résidents est de 87 ans et qu'ils souffrent en général de 6 à 8 pathologies. L'exemple du porte-avions Charles-de-Gaulle avec plus d'un millier de marins touchés, malgré les assurances de la médecine des armées, devrait inviter à plus de retenue. Il montre bien que le confinement est un exercice difficile, non??

Après la canicule de 2003, c'est la deuxième fois que les personnes âgées décèdent en nombre en maisons de retraite. Avec, d'ailleurs, les deux fois, un problème de ministre de la Santé, sur la sellette ou démissionnaire, je le note au passage...

Pour notre part, nous avons protégé les résidents, nous avons soutenu nos équipes, nous avons informé les familles, la presse, et joué la carte de la transparence, notamment avec les maires, tout au long de l'épidémie

Et demain ?

Nos équipes sont fatiguées, elles ont besoin de se reposer. Il leur a fallu se débrouiller sans l'hôpital. Demain, en cas de nouvelle crise, le nombre de places en réa ne doublera pas, vous le pensez bien. Donc il faut donner aux maisons de retraite les moyens médicaux et paramédicaux d'assumer les prises en charge jusqu'au bout. Pas besoin de doubler les dépenses, il faut compléter le ratio de 64 salariés pour 100 résidents en ajoutant un médecin-coordinateur à temps complet, et non plus à mi-temps, deux infirmiers de nuit, quatre aides-soignantes et prévoir des formations d'hygiénistes. Cela nous permettrait de rattraper la moyenne des ratios en personnel soignant sur le plan européen. Et évidemment nous devons disposer de stocks d'équipements de protection individuelle. L'année dernière le rapport de Dominique Libault a préconisé de faire des Ehpad les lieux de la centralisation des prises en charge en établissement et à domicile. D'ailleurs si certaines des mesures qu'il recommandait avaient été prises, certaines situations dramatiques auraient pu être évitées. Aujourd'hui, je voudrais que la loi Grand âge soit votée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021. Car tout dépendra de la pression qu'on mettra pour regonfler la roue de secours que constituent les Ehpad pour le système de santé français?!

Propos recueillis par Catherine Maisonneuve


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