Dans le n° 157-mars 2024  - Alexis Bataille-Hembert, Marine Crest-Guilluy, Philippe Denormandie, co-rapporteurs du rapport sur la santé des professionnels de santé.  16523

« Un professionnel de santé qui va bien, c'est un professionnel de santé qui soigne bien »

Co-rapporteurs du rapport sur la santé des professionnels de santé remis fin 2023 à Agnès Firmin Le Bodo, Alexis Bataille-Hembert, infirmier, Marine Crest-Guilluy, médecin généraliste libérale et Philippe Denormandie, chirurgien, sont revenus pour Géroscopie sur ses enseignements majeurs.

Un projet de loi sur la fin de vie est en cours d'élaboration. Que pensez-vous de la méthodologie adoptée (avis du CCNE, Convention citoyenne, projet de loi...) ?

Les professionnels de santé forment une population hétérogène exposée à des risques sanitaires plus ou moins spécifiques. S'il n'est pas nouveau, ce sujet a été particulièrement mis en exergue par la crise sanitaire. C'est dans ce contexte que la mission « Santé des Soignants - Innovons & Agissons Ensemble » a été lancée en mars 2023 par Agnès Firmin Le Bodo, alors ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé. En tant que personnes qualifiées, notre feuille de route comprenait notamment la rédaction d'un rapport présentant une synthèse de nos échanges avec l'ensemble des parties prenantes, nos visites de terrain et la collecte de bonnes pratiques individuelles et/ou collectives.

En amont, bien que le constat général soit partagé dès le début de nos échanges, nous avons voulu objectiver l'état de santé des professionnels en précisant la vision tendancielle par des faits concrets. Dès notre nomination, une consultation nationale menée auprès d'environ 50 000 professionnels de santé nous a permis de préciser la situation ; les soignants ne vont pas bien et, au-delà des enjeux d'attractivité et de fidélisation, nous devons leur apporter des réponses concrètes afin d'améliorer et de préserver leur santé en ayant en tête ce leitmotiv : un professionnel de santé qui va bien, c'est un professionnel de santé qui soigne bien.

Ce contexte a-t-il changé ?

De toute évidence, oui. Bien que de nombreuses parties prenantes n'aient pas attendu notre travail pour s'emparer de cette problématique, il est juste d'affirmer que la prise de conscience est désormais générale et, surtout, elle est marquée d'une envie d'engagement très forte avec des moyens dédiés.

Cet aspect est un axe d'ailleurs fondamental dans ce rapport. En effet, nous sommes restés humbles. Autrement dit, à nous trois, nous n'avons pas voulu « réinventer » la roue en créant de nouveaux dispositifs. L'existant que nous sommes allés chercher et découvrir est dynamique et particulièrement novateur avec une vision des dispositifs quasi « sur-mesure », adaptés aux besoins territoriaux. Cela nous a confortés dans l'idée de mettre le terrain au coeur de la réflexion : qui mieux qu'un soignant peut partager son expérience et identifier ses besoins ?

Quels sont les grands enseignements de votre rapport et les pistes prioritaires ?

L'enseignement principal à retenir de notre travail, c'est qu'il y a urgence à agir pour améliorer et préserver la santé physique/psychique des professionnels de santé. Partant de cet esprit, nous proposons six axes prioritaires d'actions permettant de rendre plus visible le sujet de la santé des professionnels de santé (en parler et identifier des indicateurs, en particulier dans les certifications), d'intégrer cette thématique dans les formations initiales et continues, d'accentuer les efforts de prévention des risques professionnels au travail et repenser l'offre et l'organisation de la médecine du travail, de rendre plus accessibles les soins aux professionnels salariés ou libéraux, en s'appuyant notamment sur l'anonymisation des données des professionnels patients ou d'accroître la lisibilité du financement dédié à la santé des soignants.

Vous indiquez que ce travail marque « le début d'un effort collectif pluridisciplinaire pour prendre en charge cette problématique de manière durable ». Des engagements ont-ils été pris par le gouvernement ? Lesquels ?

Il faut essayer d'adopter un regard transversal sur les sujets. C'est là tout l'esprit de notre message. Aussi, bien qu'elle ne soit pas un objectif en tant que tel de notre mission, il faut admettre que la thématique de la violence, sous toutes ses formes, est indiscutablement un risque majeur pour les professionnels de santé pouvant avoir un retentissement sur la santé physique et mentale. En cela, sur la base du rapport remis le 8 juin par le Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins, et Nathalie Nion, cadre supérieure de santé à l'AP-HP, nous saluons le lancement du plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé en septembre 2023.

Sur notre sujet stricto sensu, nous le répétons, l'engagement ne doit pas seulement être gouvernemental ou politique afin d'être traité de façon pérenne et collective. La santé des professionnels de santé nous concerne tous. L'engagement et les différentes actions menées par les parties prenantes le démontrent, l'efficience se gagne en équipe, y compris avec les usagers du système de santé. Prendre soin de nos soignants doit être une priorité nationale et sociétale.

Quelles sont les perspectives concrètes aujourd'hui ? Ces engagements ont-ils été confirmés par la nouvelle ministre ?

Nous espérons rencontrer rapidement nos nouveaux ministres et sommes confiants sur leur investissement sur ce sujet au regard de l'enjeu. L'amélioration de la santé des professionnels de santé implique de nombreuses directions et agences notamment des ministères du Travail et de la Santé mais aussi de la Fonction publique et de l'Enseignement supérieur.

Vous dressez un état des lieux de la situation internationale et des campagnes de prévention menées dans plusieurs pays. Comment la France se comporte-t-elle ?

La France, comme les autres pays à l'échelle européenne ou outre-Atlantique, a pris conscience de la dégradation de la situation après la crise sanitaire ; c'est la genèse de la mission ministérielle et de la volonté politique. Il n'y a rien d'étonnant à cette situation. La sociologie de la santé nous rappelle tout de même qu'envisager de prendre soin des professionnels bouscule véritablement le paradigme culturel de l'engagement soignant où subsiste encore, en 2024, des notions désuètes telles que la « vocation » ou le « dévouement », qui n'ont plus rien à voir avec ce qu'est l'exercice soignant de nos jours. Se faisant, il faut reconnaître que la France fait preuve d'un volontarisme positif pour bousculer la vision sociétale vis-à-vis des soignants. Ce ne sont pas des super-héros invincibles, ce sont des êtres humains, tout simplement.

Les soignants en Ehpad ont-ils les mêmes problématiques que les autres soignants (TMS, stress au travail...) ?

Cela va de soi, les professionnels de santé exerçant en Ehpad ou dans les services à domicile sont des soignants comme les autres et rencontrent à ce titre des problématiques similaires, tant sur un plan physique que psychique, d'autant plus dans un contexte où la gériatrie est un environnement complexe assujetti à des contraintes fortes comme la manipulation des personnes âgées ou les difficultés de ressources humaines.

On parle beaucoup du sport santé en cette année de Jeux olympiques. Comment le développer auprès de cette cible ?

Dans la consultation nationale, 32 % des professionnels interrogés ne pratiquent pas une activité physique régulière, soit près d'un soignant sur trois. Dans le même temps, la prévalence des douleurs chroniques est forte chez les professionnels de santé (60 %), en particulier les femmes, une problématique allant croissante avec l'avancée de la carrière.

De manière cohérente, le sport-santé apparaît sans aucun doute comme un levier de prévention des troubles musculosquelettiques (TMS) tout en interrogeant tout de même l'usage de l'ergonomie dans la pratique quotidienne, les moyens matériels disponibles ou mis en oeuvre comme les verticalisateurs ou les lèves-résidents, ainsi que les contraintes économiques qui pèsent sur les professionnels de santé. En effet, selon l'Inserm, les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées souffrent davantage de douleurs chroniques. Autrement dit, sans caricature aucune, dans nos établissements et services, ce sont les AS, les AMP, les ASH, les AVS... etc. Aussi, avant de faire enfiler des baskets à tout le monde, nous devons regarder la pratique d'une activité physique à travers différents déterminants. Cela ne consiste pas seulement à dire aux professionnels de santé : « Levez-vous et bougez-vous parce que c'est bon pour la santé ». Car, en outre, d'aucuns ne pourront dire le contraire, après une journée de 12 heures en Ehpad ou après un cycle de nuit, peu ont la force, ni l'envie, d'aller courir !

Enfin la formation, qui reste, quel que soit le sujet médical, le parent pauvre. Comment développer une culture de la prévention ?

Prendre soin de soi, cela s'apprend ! Et paradoxalement si l'on apprend à nos futurs professionnels de santé toutes les techniques et les connaissances afin de s'occuper des autres, lorsqu'il s'agit d'eux-mêmes, les référentiels de formation ne prévoient rien... Nous proposons dès lors la formalisation d'une unité d'enseignements (pour les formations universitaires) et/ou d'un module (pour les formations non intégrées à l'université) dédié à la santé des professionnels.

Dispensé pour partie dès les premières semaines de formation initiale, cet enseignement aura pour but de développer une culture partagée autour de cet enjeu, notamment avant la période d'enseignements pratiques en stage, dont différentes enquêtes et retours de terrain nous confirment qu'il s'agit d'une expérience parfois pénible pour l'apprenant sur sa santé physique et/ou psychique avec des conséquences a minima sur le parcours de formation.

De plus, il s'agit d'offrir, de façon analogue à la formation à la sémiologie clinique, des outils communs entre les différentes catégories professionnelles permettant de fluidifier et d'optimiser les pratiques.

Cette formation commune devra intégrer trois dimensions de la « santé » qui paraissent incontournables : la gestion et l'impact des risques propres aux métiers, le travail en équipe et la santé globale (au sens du concept « One health » proposé par l'OMS) intégrant la gestion des addictions (alcool, tabac et stupéfiants). Pour ce qui est de la formation continue, nous recommandons que la santé des professionnels de santé devienne une orientation à part entière du développement professionnel continu (DPC) s'adressant à toutes les professions de santé.

Avez-vous repéré des pratiques inspirantes à partager ?

Oui, heureusement que des pratiques innovantes sur le terrain se développent et répondent au besoin des soignants. De nombreuses sont citées dans le rapport. Par exemple, le centre de santé développé spécifiquement pour les professionnels de santé de l'hôpital Foch en dehors de l'établissement, avec une offre de soin et de prévention répondant aux besoins de soignants comme la podologie ou la nutrition.


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