Dans le n° 150-juin 2023  - Le pain noir du grand âge  14804

De la génération « devoirs » aux générations « droits »

Le n°150 de Géroscopie conduit à faire un pas de côté. Plus structurantes que l'accélération du vieillissement de la société française, ce seront les transformations sociologiques, sociales et culturelles des populations âgées qui nous intéressent.

Nous allons vivre l'arrivée des deux générations du baby-boom dans la seniorisation : les seniors de 55-75 ans et les silver boomers de plus de 75 ans[1]. L'entrée des seniors de la « silver-génération » (personnes nées entre 1946 et 1960) va conduire à une explosion du nombre des plus de 80 ans à partir de 2026. D'une certaine façon, après le « pain gris » lié au vieillissement des baby-boomers, ce sera le « pain noir » du grand âge.

Les baby-boomers, une nouvelle approche

Les générations qui émergent sont celles issues de ce que l'on pourrait dénommer le « moment 68 » qui ont porté et accompagné la société de consommation. Cette génération des premiers baby-boomers, et celle qui la suit immédiatement, répond à une culture individualiste forte et s'inscrit dans un mode de vie centré sur la recherche de confort et l'affirmation de droits. Pour caricaturer la « Génération devoirs » va progressivement laisser place aux « Générations droits ».

Si les seniors développent des modes de vie et des représentations de plus en plus plurielles, pour autant, certaines caractéristiques restent communes. D'abord ce sont majoritairement des femmes. Et plus l'âge avance, plus la féminisation est importante[2]. Ensuite, ce sont des générations qui connaissent des inégalités sociales fortes. Selon une note de l'Insee de 2018, un peu moins de 26 % des hommes parmi les 5 % les plus pauvres (dont le niveau de vie est de 470 € par mois en moyenne) sont déjà décédés à 62 ans, contre un peu plus de 5 % des plus aisés (avec un niveau de vie de 5 800 € par mois en moyenne). Selon la même étude, près de 94 % des femmes vivent au-delà de 62 ans. 12 % des plus pauvres meurent à 62 ans ou avant, contre à peine 4 % des plus riches. Enfin, ce sont des personnes qui savent que l'espérance de vie s'est largement accrue.

L'espérance de vie en bonne santé

L'espérance de vie a changé les perspectives avec un potentiel de durée de vie à 65 ans d'un quart de siècle. Mais rappelons que la croissance de l'espérance de vie tend à se réduire depuis 2015 et que l'enjeu majeur est celui de l'espérance de vie en bonne santé. En 2021, la part de temps sans incapacité parmi les années restant à vivre après 65 ans, atteint 54,4 % pour les femmes, contre 44,7 ans en 2008, et 59,3 %, contre 47,7 % en 2008 pour les hommes[3].

Il existe aussi des différences régionales fortes comme en termes d'espérance de vie, où par exemple la plus faible se situe en Haut de France. Cette question de l'espérance de vie sans incapacité est un enjeu majeur car plus la compression de morbidité sera élevée plus la qualité de vie des aînés sera forte. Et moins le coût pour la collectivité sera important. Rappelons aussi, que le phénomène ne vient pas seulement des revenus et de la pénibilité du travail, mais aussi des modes de vie, d'alimentation, de faiblesse de la pratique sportive, d'environnement sécuritaire et écologique... Bref, la prévention devrait être une priorité nationale et partagée.

La diversité des styles de vie et situations des seniors et l'importance de la question sociale dans l'approche de la seniorisation devraient être au coeur d'une politique active pour construire la société de la longévité. Une approche qui doit aussi prendre en compte les transformations culturelles et populationnelles en cours dans le pays. A nous de décider.

Serge Guérin

Sociologue, Professeur à l'INSEEC GE. Derniers ouvrages : La silver économie pour les nuls, First, 2023 La société résiliente, Fauves, 2022, et Les Quincados, Calmann-Levy, 2019;

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Les «Fractures françaises» sont-elles une affaire d'âge?

À partir de l'étude « Fractures françaises », réalisée par Ipsos pour le Cevipof-Sc Po, nous avions le mois dernier constaté que les retraités sont plutôt plus confiants dans les institutions de la société que le reste de la population. Il apparaissait aussi que le critère social était bien plus prégnant que le fait générationnel pour expliquer les différences de ressentis.