Dans le n° 138-avril 2022  - Michelle Meunier, Sénatrice socialiste, membre de la commission des affaires sociales du sénat, vice-présidente du comité de déontologie du Sénat  12759

« Il est temps de renforcer la part des dépenses publiques consacrées à l'autonomie et contrôler qu'elles ne soient pas détournées pour accroître des rentes »

Rapporteur de la commission des affaires sociales sur la récente enquête de la Cour des comptes[1] et membre de la commission d'enquête sur l'affaire Orpea, Michelle Meunier invite à passer à l'action. Interview.

Le gouvernement a lancé en réaction à l'ouvrage de Victor Castanet un plan pour renforcer les contrôles dans tous les Ehpad de France. Qu'en pensez-vous ? Cette « action/réaction » n'est-elle pas un peu excessive ?

L'enquête de Victor Castanet a produit une onde de choc chez nos concitoyens, saisis par l'émotion légitime que suscitent ces révélations. Bien des spécialistes de la perte d'autonomie, des familles et des soignants avaient déjà dénoncé des dysfonctionnements dans les établissements, mais cette mise à nu d'un système interpelle : des stratégies financières ayant pour unique but de maximiser le profit des actionnaires au détriment des conditions de vie des personnes âgées dépendantes et des conditions de travail des agents. Le gouvernement était sommé de réagir. L'annonce de contrôles systématiques de tous les Ehpad peut surprendre, dans la mesure où il n'est pas fait de distinction entre établissements, selon leurs statuts (publics, associatifs ou privés commerciaux) ou selon les alertes déjà remontées. Cette réaction vise surtout à masquer l'inaction de l'exécutif, qui n'a rien entrepris pour donner consistance à la cinquième branche de la Sécurité sociale.

Il va falloir recruter massivement dans les ARS pour assurer ces missions de contrôle. Les Ehpad n'ont-ils pas besoin de voir financer des postes de soignants dans leurs établissements plutôt que ces missions ?

Évidemment, la priorité dans l'affectation de moyens humains est l'augmentation du ratio de personnel soignant par résident. Disposer d'autant de soignants que de résidents est une attente des salariés, pour assurer une présence minimale la nuit, des toilettes respectueuses de la dignité, une grande attention aux régimes alimentaires, aux soins prodigués et à la médication, mais aussi pour proposer des animations physiques et intellectuelles qui stimulent les organismes et retardent les effets de la dépendance. C'est ce que notre société attend des Ehpad.

En parallèle, si doit perdurer un système où des sociétés marchandes engrangent des profits sur des activités de soin - ce dont je doute - il est nécessaire de contrôler que les limites légales et réglementaires ne soient pas franchies. Le triptyque règles, contrôles, sanctions n'est pas démodé et c'est tout le sens du service public que de pouvoir assurer l'inspection des Ehpad. Or, on constate que ces missions-là sont aussi sous-dotées en personnel.

Que pensez-vous du nouveau référentiel d'évaluation publié ce jour par l'HAS ?

Disposer d'un cadre national de référence est primordial. La protection de l'enfance, que je connais bien, a longtemps pâti de l'absence d'un tel cadre d'évaluation des situations préoccupantes. Disposer des mêmes critères en tout point du territoire pour évaluer le secteur médico-social relève de cette logique. La HAS énonce clairement aux usagers que des pratiques proscrites dans un département ne sauraient être tolérées dans le département voisin. Quant à la méthode, qui repose à la fois sur l'autoévaluation et sur un regard externe posé par des organismes accrédités, elle nécessitera du temps pour que les équipes se l'approprient et que les personnes accueillies participent sincèrement et utilement. À effectifs constants, ce référentiel risque de n'être qu'une contrainte de plus au détriment des soins. Pourtant, tout le monde aurait à gagner à accorder du temps aux soignants pour des moments de prises de recul sur leurs pratiques professionnelles.

Un point positif enfin, la transparence, par l'ouverture au grand public des rapports d'évaluation.

Le récent rapport de la Cour des comptes sur la médicalisation des Ehpad confirme celui que vous avez déjà publié avec Bernard Bonne. À quand des mesures concrètes applicables et appliquées ? Le vote d'une loi Grand âge ?

Cette urgence n'est pas nouvelle. En janvier 2020, je déclinais dans ces colonnes mes attentes pour la loi Grand âge. Le gouvernement a échoué à développer la prise en charge de la perte d'autonomie, créant une cinquième branche de la Sécurité sociale sans mission nouvelle, sans vision pour les dernières années de la vie, ni pour améliorer les conditions de travail de leurs soignants... et sans le financement nécessaire. Les métiers n'attirent plus, les aidants s'épuisent et les proches s'inquiètent. La société a négligé ce nouvel âge, a renoncé à développer un idéal : « la vieillesse est inimaginable », comme nous alerte la metteuse en scène Ariane Mnouchkine. Désormais, les rapports pullulent et les constats convergent : il faut passer à l'action, renforcer le maintien à domicile et acter que les Ehpad doivent accueillir des résidents à forts besoins médicaux. En outre, depuis le scandale Orpea, l'opinion publique dénonce à juste titre la marchandisation de la dépendance et l'idée d'en tirer des profits. Il est donc temps de renforcer la part des dépenses publiques consacrées à l'autonomie (à hauteur de 2,8 % du PIB en 2060) et contrôler qu'elles ne soient pas détournées pour accroître des rentes.

Les travaux de la commission d'enquête sur l'affaire Orpea ont-ils démarré ? Pouvez-vous déjà en dire quelque chose ?

Nous menons une série d'auditions depuis plusieurs semaines et concentrons nos travaux sur les modalités de contrôle des établissements. Nous sommes à l'écoute des agents, des directions, des résidents et de leurs proches, des autorités sanitaires... Nous disposons des prérogatives d'une commission d'enquête ; les dirigeants d'Orpea ne pourront se soustraire à nos questions. Il est trop tôt pour en tirer les conclusions mais nous découvrons des processus savamment étudiés pour accroître la rentabilité des Ehpad commerciaux au détriment des comptes sociaux, de la manière la plus opaque possible. À l'avenir, j'estime que des contrôles socio-économiques renforcés devront s'assurer que ces manoeuvres n'ont plus cours, sans quoi le modèle privé lucratif n'a pas de raison de subsister.

On a finalement le sentiment que la bonne gestion de l'Ehpad repose sur le triptyque directeur, médecin co, infirmière coordinatrice... Comment renforcer véritablement la place des familles, des résidents, des CVS ?

Les conseils de la vie sociale ont un rôle à jouer pour améliorer la bientraitance dans les établissements : on pourrait les placer au centre de la vie quotidienne des résidents et des salariés, comme lieux d'échanges et d'alertes. Leur composition pourrait être étendue : présence systématique d'élus du conseil départemental, ouverture à tous les résidents. Leur animation pourrait être confiée à une structure tierce, pour nuancer la place prépondérante des directions. Certains proposent même d'aller au-delà du simple rôle consultatif du CVS. Ce renforcement de la démocratie sanitaire par la base, à l'échelle des établissements, ne peut que profiter à l'accompagnement du grand âge.

Le grand âge est très peu présent dans la campagne électorale, alors qu'on annonce un pic démographique d'ici à 2030... Comment faire émerger de vraies réponses ?

Je citais Ariane Mnouchkine qui constatait l'incapacité qu'avait eue sa génération à penser, à révolutionner l'âge de la vieillesse alors même que sa classe d'âge avait dépoussiéré des pans de la société française. Mais, au pied du mur, cette vieillesse s'interroge désormais et distille des contre-discours utiles. C'est une génération d'hommes et de femmes qui ont proclamé « notre corps nous appartient » et qui entend bien conserver cette détermination. Un mouvement citoyen qui interpelle la sphère politique s'organise donc chez les vieux. Écoutons leurs propositions : réforme des CVS, résidences affinitaires, attention portée aux besoins affectifs, sensuels, intellectuels et spirituels... et plus prosaïquement la revalorisation des métiers du soin.


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