Dans le n° 109-octobre 2019  - Anne Caron-Deglise, magistrate, avocate générale à la Cour de Cassation  10659

« Il y a urgence à mettre en place une vraie politique publique de protection des âgés »

Auteur du rapport interministériel sur les droits des majeurs protégés, Anne Caron-Deglise entend bien réunir les acteurs des champs sociaux, médico-sociaux, sanitaires et judiciaires pour coordonner l'action. Interview.

Quelle est la situation actuelle des majeurs protégés en France ?

La loi cadre du 5 mars 2007 organise la protection des majeurs, souffrant d'altérations de leurs facultés, c'est à dire en perte d'autonomie de décision. S'il est possible de les accompagner par des soutiens familiaux, sociaux ou sanitaires, un dispositif juridique permet de les aider à mieux comprendre les informations qu'on leur donne et à prendre des décisions, notamment dans la gestion de leur patrimoine. Cette loi de 2007 a donc mis en lumière le besoin de respect et de soutien des décisions personnelles, en matière financière mais aussi médicale, sur le choix du lieu de vie... L'ambition de cette loi était d'abord de considérer que, sauf exception, une personne en perte d'autonomie et soutenue pouvait encore prendre des décisions.

Deux rapports de 2016 sont venus alerter

Oui les rapports de la Cour des Comptes et du Défenseur des Droits insistent en effet sur le manque d'effectivité des droits des personnes. Le Défenseur des Droits souligne l'aspect essentiellement judiciaire de notre système français de tutelle, curatelle. Ce dispositif comporte beaucoup de mesures ne respectant pas le droit des personnes, notamment des personnes âgées. Le rapport préconise donc de faire évoluer le système vers une meilleure évaluation des situations, pour éviter de prononcer des mesures trop fortes, et d'arrêter de considérer ces mesures comme définitives car les situations sont susceptibles d'évoluer. La Cour des Comptes pointe quant à elle le fait que les contrôles effectués sur les mesures, qu'elles soient exercées par la famille ou par des professionnels, les mandataires judiciaires, sont insuffisants. Elle indique que les tribunaux d'instance ne s'assurent pas de la bonne réalisation des inventaires de patrimoine, ne contrôlent pas les comptes de gestion qui doivent pourtant être remis chaque année. Par ailleurs, le dispositif n'étant pas coordonné, il existe sur le territoire une grande disparité d'application de la loi de 2007 et de vérification du respect des droits des personnes. C'est dans ce contexte qu'a été commandé un rapport de mission interministérielle, en mars 2018, et voté la loi Justice du 21è siècle, une loi de programmation portant sur le budget de la Justice et le fonctionnement d'une juridiction. Il ne s'agit pas d'une loi spécifique à la protection des majeurs. Elle n'a d'ailleurs pas repris toutes les critiques et propositions des 3 rapports précédents. Nous sommes donc à l'entrée du chemin. Rien n'est encore abouti.

Mais alors que dit cette loi ?

Il s'agit principalement d'une loi de réorganisation des juridictions. Les tribunaux d'instance ont été supprimés. Cela interroge sur la manière dont les juges et leur greffe vont pouvoir continuer à assurer les mesures et les surveiller, dans un contexte où il y a précisément un déficit de droit parce qu'il y a un déficit de contrôle. Certaines mesures spécifiques sur la protection des majeurs représentent une avancée des droits des personnes : la reconnaissance du droit de vote d'une personne sous tutelle, la possibilité de se marier ou de se pacser sans autorisation préalable du tuteur ou du juge des tutelles, et des dispositions techniques importantes telles que le fait de rapprocher le code civil, celui de la santé et le code médico-social. Cela marque une volonté de coordonner les textes applicables aux personnes protégées pour qu'ils soient visibles, lisibles et compréhensibles par tous, personnes, familles et professionnels.

Comment se rapprochement se traduit-il ?

Il s'agit par exemple de « toiletter » le code de la santé pour que les terminologies lorsqu'on évoque une personne sous tutelle soient les mêmes dans le code civil comme dans celui de l'action sociale et des familles. C'est ici l'idée de parcours qui prévaut. Une personne en perte d'autonomie peut vivre à domicile, à l'hôpital, passer dans un établissement et effectuer des allers-retours d'un lieu à l'autre. Il faut impulser une coordination mais cela commence par des textes cohérents entre eux. Les directeurs ont pour l'heure une vision sociale, médico-sociale et de gestionnaire au sens noble du terme. Ils disposent d'indicateurs de qualité, de risque, de budget mais pas de droit des personnes vu par le Code civil et les conventions internationales. L'enjeu est donc de rapprocher les acteurs de la protection des personnes, car ils interviennent auprès d'adultes en difficulté, pour aider ces derniers à comprendre les informations qu'on leur délivre et les traduire en décisions. Certaines personnes sont à ce point désorientées qu'elles ne peuvent pas rester chez elles. En établissement, elles se mettent en situation de risque, obligeant les directeurs à prendre des mesures de précaution restreignant leur liberté d'aller et venir. La loi ASV a déjà travaillé sur cette question, en insérant des dispositions dans le Code de l'action sociale et des familles mais c'est insuffisant. Il faut continuer.

Comment accompagner la personne aujourd'hui ?

Pour une meilleure acceptation des décisions, il faut coordonner le travail de terrain, et cela va plus loin que la seule mesure de la perte d'autonomie. Cela suppose une appréciation plus globale de ce que la personne est capable de comprendre et de la mesure de soutien la plus adaptée, qui n'est pas obligatoirement judiciaire. Il s'agit d'une réforme d'ensemble, intégrant ce qui existe sur les territoires, ce que peuvent faire les familles ou les ARS lorsque les personnes entrent dans le circuit par une voie sanitaire, et d'une manière générale, de la façon dont l'État envisage le soutien et la protection des personnes, et le contrôle de ceux qui exercent les mesures de protection, dans un objectif de qualité. Des protocoles d'intervention devraient être intégrés dans des bases partagées.

Quelles sont les perspectives ?

L'enjeu aujourd'hui est de savoir comment le gouvernement et le président de la République vont s'emparer de ces questions. Va t-on vers un acte 2 de la mission interministérielle avec un travail de mise en oeuvre des propositions émises dans ce rapport ou dans celui des députés Abadie et Pradié, un calendrier et une feuille de route précis ? Ou va t-on vers des décisions politiques différentes... On sent une volonté du terrain, de tous les acteurs y compris des familles, pour dire que ça ne peut plus durer. Ce sujet est récurrent mais n'est jamais traité car il ne représente pas une urgence. Il nous faut instaurer de vraies politiques de terrain. Cette loi Grand Âge Autonomie peut jouer un rôle majeur, à condition de mener une réflexion de fond sur ce qu'est l'autonomie, une société inclusive, et cela va au-delà de la question du handicap.

Le Gouvernement me semble prêt à poursuivre le travail, mais il doit travailler en transversal avec les trois ministères concernés. Un Haut commissariat valoriserait le travail réalisé par les territoires, en matière d'éthique ou de santé. On a tous les éléments. Maintenant il faut trouver le cadre juridique et les financements.

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