Dans le n° 138-avril 2022  - Illustration  12808

Projections dans la vraie vie

Scénario 1 En 2030, l'État s'engage pour protéger les populations âgées les plus fragiles.

Paul et Jean-Yves, 82 ans et 92 ans, veufs tous les deux, sont aujourd'hui des « partenaires d'Ehpad ». Voici deux ans, les deux frères ont décidé de franchir le Rubicon après une longue hésitation. Le coût des aidants pour la toilette, le ménage et les courses, surtout pour Jean-Yves, allaient devenir bien lourds pour une si maigre retraite. Un peu plus autonome, mais effrayé par la solitude et désireux d'accompagner son frère quotidiennement, Paul a lui aussi décidé d'aller vivre dans cette structure financée par l'État, d'excellente réputation et siégeant à deux pas de leur cité HLM à Saint-Denis.

Comme chaque jour désormais, les anciens ouvriers anticipent avec plaisir le moment du dîner. Ce qu'ils adorent au nouveau self, c'est de pouvoir s'attabler à l'heure qui leur convient. Ils ont en effet la chance de résider dans une structure qui emploie un personnel du soir afin de proposer des horaires assouplis pour le dîner. Ce qu'ils aiment ensuite - surtout Paul - c'est de retrouver les copains. Après le repas, ils peuvent s'attarder un peu à table. Autour d'une boisson chaude, ils enchaînent les parties de tarot.

Avant que le self ne se mette en place il y a un an, le temps du dîner était chapeauté par des aides-soignants, dont la journée se terminait à 20h. Dès 18h30, il fallait se mettre à table. Tout le monde mangeait la même chose, en même temps. Désormais, les résidents viennent dîner quand ils ont faim, entre 18h30 et 20h.

Avant d'arriver dans la structure, Jean-Yves était entré en phase de dénutrition, Paul la redoutait et se sentait de plus en plus fatigué. Déprimés par la perte d'autonomie galopante de Jean-Yves, les frères complices ne se retrouvaient plus pour partager un temps plaisir lors des repas. Depuis bien longtemps, plus personne ne faisait la...