Anny Duperey, comédienne, interrogée par Roger-Pol Droit
Elle a découvert une vie sociale
L'idée même de l'entrée en Ehpad vous semble à ce point inconcevable ?
Anny Duperey : Oui, et je crois savoir pourquoi. Il y a d'abord le fait que je n'ai jamais eu, dans ma famille, à me confronter à la vieillesse des miens. Mes parents sont morts quand j'avais 9 ans, tous les grands-parents ont suivi, les oncles et tantes peu de temps après, puis ma jeune soeur, et même le père de mes enfants... Tous ont fait place nette. Je n'ai donc pas l'expérience d'avoir à gérer une personne âgée, ni celle d'une admission dans un Ehpad.
Vous ne pensez vraiment pas qu'une vie en Ehpad puisse être réussie, positive ?
A.D : Mais si ! Et je viens d'en avoir une confirmation, à laquelle je ne m'attendais pas. La belle-mère de ma fille a une maman qui vivait en Ariège, dans une maison assez isolée. Cette dame n'a pas un caractère facile et sa fille pensait qu'il serait très difficile pour elle de s'adapter à la vie dans un Ehpad. Elle lui a dit : « Si jamais ta maison te manque, tu peux revenir ; on ne va pas la vendre, ce sera toujours chez toi si tu as besoin d'y retourner. » C'était déjà un élément rassurant. Mais, la bonne surprise, c'est que la vieille dame solitaire a trouvé sa nouvelle vie absolument formidable ! Des activités culturelles, énormément de choses partagées, tant et si bien que cette femme qui a toujours vécu isolée a trouvé tout à coup des compagnons et des compagnes, des échanges qu'elle n'avait pas l'occasion d'avoir dans sa maison isolée. Elle a découvert en Ehpad une vie sociale qui lui a beaucoup plu ! Une nouvelle vie, pour le coup, plus attirante que celle qu'elle menait seule.
Finalement, ce qui compte le plus à vos yeux, plutôt que la durée de la vie biologique, ce sont les qualités du coeur ?
A.D: Nous vivons à présent beaucoup trop longtemps. Je crois qu'il faut avoir le courage de le dire. Il y a quelques jours, par hasard, j'ai été hébergée un moment chez un jeune homme dont le père a un Alzheimer total. Sa femme s'occupe de lui avec une autre personne. Cet homme ne reconnaît plus personne. On le transporte d'une pièce à l'autre, il ne sait pas où il est. Je ne vois pas quelle valeur peut avoir, ni pour lui ni pour ses proches, cette existence purement physiologique. Son épouse, qui a fait déjà, de son vivant, le deuil de ce mari, craint de mourir avant lui d'épuisement et de désespoir. Cette famille serait tout à fait d'accord, si cela était officiellement permis, de le faire partir, avec une assistance médicale bienveillante, en lui tenant la main... Une de mes amies, qui a 81 ans, a sur le dos sa mère de 101 ans... c'est monstrueux et complètement anormal. L'allongement contemporain de l'existence engendre des souffrances pour des tas de gens qu'on maintient en vie parce que la physiologie marche encore même si la tête n'est plus là. Cela ne rime à rien. C'est un poids pour la société, un poids pour les proches. J'exagère sans doute en disant cela, parce que je sais bien qu'il existe une infinité de cas différents, mais je pense aussi qu'il y a là un problème que nous ne voulons pas aborder de front, mais qu'il faudrait un jour parvenir à surmonter.
« L'entrée en Ehpad » - Extraits
