Dans le n° 74-novembre 2016  - Gestion des risques  5995

"Les autorités sanitaires de notre pays font preuve de laxisme"

Interview de François Pesty, pharmacien, consultant indépendant, expert conseil en organisation et informatisation du circuit du médicament.

Quelles mesures prendre pour renforcer la sécurisation du circuit du médicament en EHPAD ?

François Pesty : La lecture "code barre" de chaque dose de médicament administrée permettrait d'éviter bien des erreurs et dommages dont le plus grave peut être le décès du patient. Ce système permettrait la sécurité du patient/résident et la sécurisation des pratiques soignantes. C'est un moyen d'intercepter les erreurs d'administration, de fiabiliser la traçabilité des médicaments administrés. Cette technologie sans grande complexité et peu onéreuse, adoptée depuis plus de trente ans dans l'industrie ou encore la grande distribution (il n'y a depuis quasiment plus d'erreur de produit en caisse) nécessite un lecteur code-barres ou datamatrix (code-barres bidimensionnel à haute densité), de préférence sans fil, relié au logiciel « prescription / administration ». Trois amendements ont été déposés au projet de loi de modernisation de la Santé mais sans aboutir. Concrètement, il s'agit de scanner alternativement le bracelet électronique d'identification du résident et les codes-barres présents sur les conditionnements primaires (sur chaque ampoule injectable, derrière chaque comprimé ou gélule...) de chaque dose de médicament à administrer. Ce dispositif permet d'industrialiser le contrôle des « 5 B » avant administration : le bon médicament, au bon patient, au bon moment, à la bonne dose, par la bonne voie. D'autre part, la technologie permet au soignant de dispenser au moment de l'administration une information spécifique au médicament et pertinente pour le patient, préalablement entrée dans le système d'information, ou de l'inviter à enregistrer une information pertinente avant de documenter l'administration.

Les Américains ont été pionniers dans la mise en place de la lecture code barre au chevet du malade. Nous disposons aujourd'hui d'un très bon niveau de preuve sur la capacité de cette méthode à intercepter les événements indésirables graves liés à l'erreur médicamenteuse. Cela suppose néanmoins la généralisation du conditionnement unitaire des médicaments, ce qui n'est pas le cas en France.

F.P : Selon un arrêté du 6 avril 2011, les médicaments doivent rester identifiables jusqu'au moment de l'administration. Si cette obligation s'impose aux hôpitaux, les EHPAD devraient prendre également ces exigences à la lettre. Il est bon de relever le niveau de sécurisation du circuit du médicament en EHPAD.

Le laxisme des autorités sanitaires de notre pays vis-à-vis des producteurs de médicaments dans le domaine des conditionnements primaires utilisables à l'hôpital et à fortiori en EHPAD a été tel jusqu'à présent, que nous ne remplissons même pas les conditions initiales indispensables au déploiement de la lecture code-barre au chevet des patients. Actuellement, 44 à 47 % des comprimés et gélules ne sont pas identifiables après découpe des blisters. Une étude ayant porté sur 572 présentations de médicaments toutes formes galéniques confondues menée en 2013 sur l'un des sites d'un important groupe hospitalier francilien non universitaire, a révélé que seuls 21% des médicaments présentaient un code-barre sur leur conditionnement primaire. Pire, seulement 12% disposaient de codes-barres lisibles par un lecteur ! Ce caractère non obligatoire de la présence à l'hôpital ou en EHPAD de conditionnements unitaires, tout particulièrement pour les formes orales sèches (comprimés, gélules), malgré la demande insistante mais jamais satisfaite des pharmaciens hospitaliers, a conduit à la situation catastrophique actuelle en matière d'erreurs médicamenteuses. Que l'on ne vienne donc pas nous dire que la décision ne peut être prise qu'à Londres par l'EMA, Agence européenne du médicament ou qu'il faille attendre une quelconque « directive européenne » pour afficher une exigence vis à vis des firmes pharmaceutiques...

Quelles solutions pour sécuriser l'administration des solutions injectables et buvables, souvent présentes dans les traitements des résidents en EHPAD ?

F.P : L'infirmière est le professionnel de santé le plus démuni en matière de support logiciel dans l'exercice de sa pratique. C'est particulièrement criant pour les formes injectables, pourtant les plus iatrogènes, mais aussi pour les solutions buvables. Les infirmières ne disposent d'aucune aide pour le calcul des doses, des débits... Il faut en finir avec certaines pratiques telle que la retranscription du nom du résident sur un sparadrap collé sur le gobelet de solution buvable. Tout logiciel de soins devrait permettre pour les injectables et les buvables l'impression d'une étiquette unique. Les calculs des doses, des dilutions, des volumes devraient être encadrés et le logiciel en capacité d'émettre des alertes en cas de franchissement des posologies maximales. Il es nécessaire d'établir un cahier des charges pour les éditeurs de logiciels. C'est une question dont le Ministère des Affaires sociales et de la Santé devrait également se saisir.

En juin 2015, l'Union nationale des pharmaciens de France (UNPF) a émis une série de propositions pour « une traçabilité irréprochable » et « la mise en place d'un process de qualité » dans la PDA en EHPAD : photo systématique du médicament et de la boîte, comparaison avec l'ordonnance, archivage des photos et transmission à l'EHPAD... Qu'en pensez-vous ?

F.P : Il serait en effet utile aussi de prévoir la création d'une banque nationale d'images numériques haute définition recto verso des médicaments déconditionnés si fréquemment rencontrés dans nos hôpitaux ou en EHPAD. Alors que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) admet que des médicaments puissent se ressembler au point d'être confondus, n'est-il pas ahurissant aujourd'hui, de s'apercevoir que la photo haute résolution recto-verso des médicaments déconditionnés ne figure toujours pas dans le dossier d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et qu'elle est bien évidemment absente des bases de données médicamenteuses.