Dans le n° 74-novembre 2016  -  Interview David Gruson, Délégué général de la FHF  5972

" Il faut adapter les outils de notre système de soins à la question du vieillissement "

Les projections démographiques ne permettent plus d'éluder les questions autour du vieillissement de la population et de l'adaptation des secteurs sanitaires et médico-sociaux à cette réalité. Délégué général de la Fédération Hospitalière de France (FHF) depuis février 2016, David Gruson entend mobiliser les candidats à l'élection présidentielle.

Frédéric Valletoux a été réélu à la présidence de la FHF pour 3 ans. Quelles sont ses priorités ?

David Gruson : Défendre le service public hospitalier, garantir l'indépendance de la FHF tout en alimentant le débat collectif, ouvrir nos travaux aux médecins, aux associations de patients mais aussi au secteur médico-social pour lequel chacun connaît son engagement. Il veut redonner du sens aux réformes pour libérer l'énergie des équipes et favoriser l'innovation mais l'un de ses projets phares est de placer les enjeux de l'autonomie et du handicap en tête des priorités. Car cette réalité va impacter nos activités et la société toute entière.

Que pensez-vous de la mise en oeuvre des GHT ?

David Gruson : La FHF avait depuis très longtemps appelé de ses voeux la mise en place d'une stratégie de groupe. Elle avait donc accueilli avec beaucoup de satisfaction la prise en compte de cette demande dans la loi de santé. La FHF s'était en revanche opposée à la version initiale du décret d'application en février dernier, très long et technocratique. Il privait les acteurs d'une marche de manoeuvre. Plus de souplesse devait être attribuée aux établissements. C'était pour nous la condition sinequanone d'accompagnement des établissements dans un calendrier très contraint.

Notre message a été entendu. Et c'est ce qui nous a permis de tenir le cap du 1er juillet avec une très forte mobilisation des fédérations régionales. Nous avons pu organiser les mises en mouvement institutionnelles, le calage des périmètres, la préparation des projets médicaux partagés... Le déploiement est aujourd'hui effectif avec 135 groupements créés. Un comité de suivi national de la mise en oeuvre des groupements se réunit désormais chaque mois et des crédits d'aide à l'accompagnement des établissements (10 millions d'euros) ont été débloqués en mars. Nous avons demandé un montant complémentaire dans la dernière circulaire budgétaire. La DGOS s'y est dite favorable. C'est pour nous un enjeu majeur car la mobilisation sur le terrain autour de ce dispositif est très forte.

Les structures se sont-elles bien emparées de ce dispositif ?

David Gruson : C'est un véritable exploit, d'avoir su dans un temps si court (le décret a été publié en avril 2016) mobiliser une telle énergie sur le terrain. Pour autant il reste des difficultés très pratiques et concrètes. Elles relèvent des achats, de la convergence des systèmes d'information, des besoins de précision sur la TVA applicable sur les mises à disposition de personnels Le ministère des finances est plutôt rassurant sur ce point. Mais nos adhérents sont vraiment en attente de réponses. La priorité est pour nous aujourd'hui et dans ces prochains mois, de donner une impulsion au déploiement des projets médicaux partagés. Nous disposons d'un an pour le faire mais nous avons engagé une mission d'appui il y a quelques semaines confiée au Dr Frédéric Martineau et à Christian Muller qui a vocation à répondre aux demandes d'appui sur le terrain de nos adhérents.

Comment intégrez-vous le secteur médico-social ?

David Gruson : Nous souhaitons que les GHT aient une très forte identité sur la partie médico-sociale. Vieillissement et handicap faisaient dès février 2016 partie des éléments de notre intervention pour que soit reconnue la possibilité dans les groupements de disposer d'un vrai pilier médico-social au sein des dossiers médicaux partagés. A ce stade, 45 EHPAD ont adhéré aux groupements, ce qui est pour nous une première évolution intéressante. D'autres établissements s'y préparent avec parfois des étapes préalables sous forme de coordination à travers des groupements de coopération sociale et médico-sociale. Nous allons faciliter ces démarches en incitant les GHT à s'ouvrir complètement sur le secteur de la prise en charge des personnes âgées et handicapées dans des logiques de parcours.

Et concrètement sur le terrain ?

David Gruson : Nous travaillons au niveau national avec l'ensemble des acteurs (fédérations, conférence y compris du fonds médico-social), mais la clef pour nous en terme de méthodologie, c'est surtout de partir du terrain et des territoires. Il faut que les acteurs hospitaliers fassent le lien à l'échelle territoriale avec l'ensemble des offreurs de soins, y compris les professionnels libéraux, dans une logique de parcours de prises en charge des patients. Sur les GHT par exemple, on voit bien qu'un " temps 2 " des GHT s'impose. Les remontées terrain prouvent qu'il y a encore quelques étapes à franchir. Au-delà de la bonne volonté des acteurs, l'incitation à mettre en avant un chemin d'intégration dans les groupements est faible (carrières des directeurs, outils de financement des établissements...).

Aujourd'hui le débat présidentiel semble se concentrer sur les questions sécuritaires. Les personnes âgées ne sont jamais évoquées... Comment pensez-vous susciter l'intérêt des politiques et le débat ?

David Gruson : C'est un point très important. Le débat autour du vieilissement et du handicap est primordial. Nous avons crée une plateforme politique qui sera remise aux candidats à l'élection présidentielle début 2017. La question du vieillissement est sans doute la toile de fond majeure qu'il faut garder en tête car elle est trop peu présente dans le débat public. Pourtant c'est une évolution démographique, inévitable, engagée et on voit que les outils d'adaptation de notre système de soins à la question du vieillissement sont encore imparfaits. Là aussi la réponse par les territoires est pertinente, qu'il s'agisse des hôpitaux de proximité ou du déverrouillage de la télémédecine. Ce dernier nous permettrait de prendre en charge des questions gériatriques à distance en évitant de faire déplacer les personnes âgées sur les plateaux techniques hospitaliers. Ce n'est pas encore visible dans le débat public mais nous mesurons aujourd'hui grâce au Tour de France que nous effectuons avec Frédéric Valletoux que la prise de conscience s'opère sur le terrain. A nous de l'incarner dans une série de propositions fortes : mise en place nécessaire du 5ème risque, accentuation du mouvement de décloisonnement des sections tarifaires dans la gestion des EHPAD... Il y a des difficultés de fonctionnement qui ne sont plus à la hauteur des enjeux pour se positionner dans les territoires.

Les expérimentations de télémédecine ont été généralisées à l'ensemble du territoire. Pourtant le PLFSS 2017 semble décevoir le secteur hospitalier...

David Gruson : L'article 47 du PLFSS prévoit une généralisation des expérimentations de télémédecine. C'est une première avancée mais qui n'est pas à la hauteur de notre demande, à savoir un alignement du droit tarifaire sur le droit tout court. Depuis la loi HPST de 2009, le droit dit que la télémédecine n'est pas une forme de médecine particulière, juste de la médecine à distance. Il faut donc prévoir un alignement de la capacité à tarifer sur la base des tarifs de consultation physique existants.

Sur le PLFSS, nous avons aussi des points d'inquiétude, notamment sur la ponction de 60 millions d'euros sur les Crédits Non Reconductibles (CNR) du médico-social, et sur la partie formation (ANFH), nous sommes là aussi très engagés. Cela ne nous semble pas opportun de ponctionner les crédits formation au moment où nous avons besoin de renforcer le dispositif d'accompagnement à l'évolution des métiers hospitaliers. L'ensemble des acteurs est aligné sur ce dossier. Nous allons continuer le travail de conviction entre le gouvernement et les parlementaires.

Mini bio

Diplômé de l'ENA, de l'Ecole Nationale de la Santé publique et de Sciences Po, il est docteur d'Etat en droit, sa thèse portant sur " Les Centres de gérontologie dans les établissements publics de santé : réflexions autour du principe de séparation entre droit sanitaire et droit médico-social dans la prise en charge des personnes âgées ".

Directeur général du Centre Hospitalier Universitaire de la Réunion depuis 2012, il a été conseiller technique du Premier ministre chargé de la politique de santé, du handicap et de la prise en charge de la dépendance, magistrat à la Cinquième Chambre de la Cour des comptes (sociale), Directeur Adjoint de l'hôpital Bicêtre.