Un secteur sous tension, des soignants épuisés... Il n'en faut pas plus pour faire changer le regard et les exigences des professionnels. Comment dans ces conditions maintenir des équipes stables ?
Qui sont les soignants aujourd'hui ?
En septembre, une " mission flash " parlementaire était diligentée relatant à l'unisson le manque de moyen humain pour s'occuper dignement de nos ainés :
Un mois plus tard, la lutte de quelques soignants d'un EHPAD du Jura faisait sensation auprès de nos parlementaires, un reportage devait leur être consacré [1].
Selon une "communication" parlementaire rendue publique en septembre. Le taux d'absentéisme atteint en moyenne 10% dans les structures.
Le 30 janvier dernier, les professionnels de l'EHPAD manifestaient pour la première fois. Leurs revendications ? Plus d'effectifs, la revalorisation des salaires, de meilleures conditions de travail...
Une nouvelle journée de grève dans les EHPAD est annoncée pour le 15 mars prochain.
Alors le regard des soignants sur le métier a-t-il changé ? La réponse est oui et bien plus pragmatique qu'elle n'y paraît.
Résumons-nous : pénibilité physique, stress, mal-être suscités par l'accompagnement des grandes dépendances et de leurs aidants, des arrêts maladie qui se multiplient pour des lombalgies et des troubles musculo-squelettiques chroniques, une surcharge de travail pesant sur les organismes, une charge mentale, l'épuisement professionnel, trois week-ends travaillés par mois, le rappel des salariés en repos pour des remplacements, des salaires peu incitatifs ...
Le secteur est en crise, le métier peu attractif, les conditions de mise en pratique des compétences acquises sur les formations initiales génèrent plus de frustrations que d'épanouissement professionnel. Et parmi elles, il en est une qui fait l'unanimité : le manque de temps et la dignité des soins...
Le temps du lien social, de la disponibilité, le temps de l'écoute active, de l'approche centrée sur la personne, le temps de l'accompagnement des troubles comportementaux, le temps de la personnalisation des soins se résument aujourd'hui à la quantité de " projet personnalisé " réalisés. Après l'avènement du fast-food, nous venons d'inventer la société du " fast-care " privilégiant la productivité, au sens, à l'éthique et à la déontologie..
De plus en plus de CDD choisis
Les directeurs n'arrivent plus à faire face et travaillent avec des équipes stables réduites. Faute de meilleures conditions de travail ou de meilleurs salaires, le paradoxe du marché est qu'il évolue et s'adapte en toutes circonstances. Il offre plus de flexibilité à une génération de soignants plus mobiles, préférant cumuler temps partiels et cdd leur permettant de tirer vers le haut leurs revenus (intérim), choisir leurs missions, maîtriser leur temps de travail...
Les soignants, s'émancipent ainsi du jouc institutionnel et gagnent en latence décisionnelle. On ne se voit plus imposer, mais proposer des missions, inversant le rapport naturel hiérarchique, tentant même parfois de fidéliser... Les directeurs travaillent dès lors dans l'instabilité, sur des plans de soins dits " restreints". Le prix de la stabilité passe désormais par le recours au remplacement et aux équipes vacataires, souvent plus pérennes que l'équipe salariée sujette au turn-over incessant...
La loi de l'offre et de la demande fait, une fois n'est pas coutume, pencher la balance du côté des soignants, leur offrant toute proportion gardée une certaine " prise de pouvoir ".
Comment renverser la vapeur ? Comment résister à cette prise de pouvoir des soignants ?
Il semble dès lors essentiel, dans ce contexte singulier, de rendre la mission plus attractive, donner du sens et sécuriser les pratiques, promouvoir la qualité de vie au travail, rester constamment vigilants au climat social de l'établissement et contrebalancer la pénibilité perçue par un sentiment partagé de qualité de vie au travail.
La qualité de vie au travail est un sentiment de bien-être, perçu individuellement et collectivement, qui englobe l'ambiance, la culture de l'entreprise, l'intérêt du travail, le sentiment d'implication et de responsabilisation, l'équité, la reconnaissance et la valorisation du travail. La reconnaissance de la valeur travail et le respect de chacun pour ce qu'il est, pour ce qu'il fait, sont des signes qui doivent être forts envers les professionnels de terrain.
Le directeur et l'équipe d'encadrement en sont les principaux pourvoyeurs. Pour ce faire, des évaluations régulières doivent avoir lieu par les cadres de santé en temps réel et non pas forcément au moment de l'évaluation annuelle pour la procédure de notation administrative. Les agents doivent se savoir évalués sur la qualité des soins qu'ils dispensent, soins relationnels, soins techniques, mais aussi sur leur comportement professionnel et personnel au sein de la structure.
Partager une éthique professionnelle commune
Véhiculer des valeurs fortes, empreintes d'éthique professionnelle et définir son cadre de fonctionnement solidaire et cohésif, autour de points clés de bientraitance définis collectivement. Le management de l'organisation doit permettre que l'action de chacun s'inscrive " dans des réseaux de solidarité, à l'antinomie de la concurrence ou de la recherche d'une position dominante ou exclusive ". L'environnement de l'organisation, loin d'être une menace pour son identité, devrait constituer une ressource.
A travers les mots/maux des soignants, l'environnement de l'organisation est en effet souvent jugé hostile et appréhendé sur une posture structurelle de victimisation par les professionnels qui ont le sentiment de subir, plutôt que d'agir. Parmi les outils d'accompagnement les plus plébiscités, on trouve : les process de communication interne, les espaces d'analyse et de soutien et la formation.
Ces espaces de paroles et de co-développement ont en commun de donner du sens à la pratique collective et individuelle, permettant aux structures de s'enrichir de leur environnement. C'est là que se situe le noeud borroméen du management, par-delà tous les outils mis en oeuvre : c'est peut-être la propre capacité du directeur à les mettre en musique pour faire sens auprès des soignants qui est finalement interrogée ?