Dans le n° 128-mai 2021  - Partie II  11840

Penser la séniorisation, c'est aussi penser le local

Dans ma dernière chronique, je revenais sur la nécessité de penser local... L'invention du confinement est de ce point de vue une sacrée rupture anthropologique et idéologique.

Depuis la fin des années 1960, le discours dominant s'est toujours tourné vers une valorisation croissante de la vitesse. Regardons la SNCF et son tout TGV qui a été soutenu dans un très large consensus par la droite comme par ce que l'on appelait la gauche. Un soutien qui s'est fait au prix de la suppression des lignes locales et des trains de nuit, du lien social dans la France périphérique, pour reprendre la formule forte du géographe Christophe Guilluy, de la suppression croissante de commerces de proximité, de petites industries, de l'emploi local... 

Ce choix du mouvement et de la rapidité a ses limites 

La SNCF est essorée sur le plan financier et le tout TGV a laissé des béances au regard de nos besoins. L'essor du télétravail ou des visio-réunions a écorné encore l'utilisation des TGV. La demande sociale va vers les lignes de proximité et même les trains de nuit. Une demande sociale ringarde, n'est-ce pas ? Et pourtant, cela se nomme en sociologie les « usages » et la « nécessité du lien »... C'est-à-dire prendre en compte les besoins et désirs des gens. Des gens qui peuvent aussi préférer aller moins vite pour payer moins cher et voir, par exemple, plus souvent leurs proches. Aller moins vite, c'est aussi le reproche que l'on fait aux plus âgés, aux plus fragiles... La SNCF évoque la reprise de ces trains de nuit. Ils pourraient devenir aussi des espaces accueillant des activités commerciales, de formation, de restauration où les repas prendraient en compte les spécialités des lieux traversés, des activités de prévention... De la même manière que l'on peut penser que les lieux de santé et d'accueil des plus âgés et des plus fragiles peuvent être des plateformes d'accès à des services, à des marchés, à de la santé, les trains pourraient faire de même. D'ailleurs, pourquoi ne pas inventer une maison de retraite sur rails, qui permettrait à des personnes fragilisées de se déplacer la nuit entre deux lieux d'accueil ? 

L'Etat ne peut pas tout

Dans notre pays confronté à une énorme défiance des institutions, l'État doit proposer une vision globale et pratiquer une décentralisation de la confiance. Le but est d'instaurer une société solidaire en s'appuyant sur les initiatives locales, la société civile, les collectivités, les gens ordinaires... J'avais montré cela dans mon livre De l'État providence à l'État accompagnant. En pleine crise sanitaire, les régions ont montré leur efficacité et se sont organisées pour mieux répondre aux besoins. Beaucoup de communes et de départements se sont mobilisés au plus proche des gens. Cette proximité du terrain offre une plus grande efficacité et une meilleure manière de répondre aux besoins et aux désirs. La proximité est aussi un échelon où chacun peut plus facilement agir et prendre ses responsabilités.

Au final, notre responsabilité collective serait d'inventer une France prenant en compte les transitions démographiques et écologiques. Il s'agirait de développer une protection sociale, intégrant la santé, l'habitat, la lutte contre le réchauffement climatique et la prévention dans sa globalité. Or, cette dynamique sera d'autant plus efficace qu'elle s'inscrira dans une logique de proximité. Dans cette perspective, il faut permettre aux gens de s'auto-organiser pour créer leurs propres solidarités et interdépendances là où ils vivent.

Serge Guérin

@Guerin_Serge, Professeur de sociologie à l'Inseec GE, directeur du MSc « Directeur des établissements de santé », président de l'Agence des MCA, auteur de Les quincados, Calmann-Lévy.