Dans le n° 132-octobre 2021  - Enjeu  12258

« Nous devons pérenniser les méthodes de travail collaboratives »

Entretien avec Antoine Malone, responsable du projet « Prospective, relations avec les milieux académiques et les think tanks » à la Fédération hospitalière de France (FHF).

Que vous inspirent les mots « résilience » et « engagement » au coeur de l'édition SantExpo 2021 ?

La résilience est la capacité pour une société et un système à résister aux chocs. C'est donc une qualité très appropriée en période d'épidémie, sachant que le propre d'un système de santé est d'être confronté en permanence à des événements graves et importants. Par ailleurs, l'une des caractéristiques du modèle français est la motivation intrinsèque de ses professionnels de santé et médico-sociaux. Leur premier objectif lorsqu'ils se rendent au travail est de prendre soin des personnes qu'ils accompagnent. Cet attachement à leur coeur de métier met en lumière un engagement particulièrement fort que nous ne retrouvons pas forcément dans d'autres pays. Et cet engagement est l'un des éléments clés de la résilience, sur lequel nous pouvons construire. On l'a constaté pendant l'épidémie, lorsque l'ensemble des acteurs de santé partagent un objectif clair, ils réussissent rapidement à construire un système plus résilient.

Le programme de responsabilité populationnelle, développé par la Fédération hospitalière de France (FHF) et qui repose sur l'élaboration en commun d'un programme d'actions visant à maintenir les habitants d'un territoire en bonne santé, illustre aussi cet engagement. Les personnels de santé et médico-sociaux se rendent disponibles le soir, pendant plusieurs heures, afin de travailler collectivement à une meilleure prise en soins de leurs concitoyens. C'est ce formidable engagement qui rend les actions d'amélioration possibles.

Quel regard portez-vous sur la performance organisationnelle des hôpitaux, des Ehpad et plus globalement de notre système de santé ?

L'investissement de chaque professionnel n'a jamais fait aucun doute. Mais ce qui va garantir une résilience collective est la capacité à travailler en système. Et dans cette optique, la coordination entre deux établissements ne suffit pas. Les relations entre les intervenants doivent être suffisamment fortes pour que le système produise davantage que l'ensemble de ses parties. Suite à l'arrivée de la Covid-19, tous les acteurs, soignants ou non, ont poursuivi un objectif commun : maîtriser l'épidémie. Des coopérations de plus en plus fortes ont émergé car chaque professionnel, au sein de chaque établissement, a compris qu'il ne pourrait pas réussir seul. Cette interdépendance a permis un fonctionnement collectif grâce à une meilleure connaissance et à des collaborations renforcées entre les secteurs sanitaire, médico-social et même avec les élus... Ce décloisonnement est une révolution dans le modèle français.

L'évolution vaut-elle pour les organisations elles-mêmes ?

C'est évident. Au-delà du progrès médical, nous avons constaté une formidable adaptation des établissements motivée par un objectif clair et partagé : vaincre l'épidémie. Chaque structure a fait évoluer son organisation pour obtenir les meilleurs résultats cliniques possibles. C'est ainsi que nous avons assisté, par exemple, au déploiement d'équipes gériatriques dans les Ehpad afin d'assurer une meilleure prise en charge des résidents. L'enjeu des prochains mois consistera à ne pas revenir au fonctionnement antérieur.

Quels sont vos conseils pour éviter un retour en arrière ?

L'excellence clinique - à savoir la capacité à donner le bon soin à la bonne personne au bon moment - ne s'oppose pas à la rigueur budgétaire. Bien au contraire. C'est cette conviction qu'il reste à ancrer durablement dans les esprits. Ce qui impose que le pilotage de notre système de santé ne soit plus guidé par la seule considération budgétaire. N'oublions jamais que c'est la mauvaise prise en charge qui coûte cher, par exemple lorsqu'un patient ne peut pas quitter l'hôpital, faute de solution d'accueil en aval. Notre système de santé est meilleur aujourd'hui qu'en mars 2020 suite au développement d'une vision collective d'interdépendance et à la mise en place de nouvelles organisations. Ne revenons surtout pas en arrière.

Vous conseillez la mise en place de stratégie de relations et d'actions. Quel message avez-vous envie d'adresser aux directeurs d'Ehpad ?

La période que nous venons de vivre a été incroyablement intense et compliquée. Il est normal que les professionnels, dont les directeurs d'établissement, soient épuisés. Mais ce qui est extrêmement positif, c'est qu'ils disposent désormais de solutions qu'ils n'avaient pas expérimentées auparavant : des collaborations plus étroites avec les hôpitaux, de nouvelles habitudes de travail, une meilleure connaissance des élus et des collectivités locales... Cet éventail de leviers est désormais à la disposition de l'ensemble du secteur médico-social. La crise a obligé les professionnels, qui manquaient auparavant de temps pour sortir de leur « silo », à trouver des ressources sur leur territoire. Des communes ont mis des gymnases à disposition pour la vaccination, des soignants libéraux sont venus renforcer les équipes, l'hôpital a proposé aux différents acteurs son expertise et ses systèmes d'informations... La Covid-19 a été un formidable terreau pour l'innovation en termes d'organisation et d'habitudes de travail.

La responsabilité populationnelle, défendue par la FHF, ne mobilise-t-elle pas le secteur sanitaire au détriment du médico-social ?

Nous avons développé notre modèle autour des personnes atteintes ou à risque de diabète et d'insuffisance cardiaque. Le point d'entrée est donc effectivement médical. Mais sur le territoire expérimentateur de l'Aube et du Sézannais par exemple, le diabète de type 2 concerne plus de 80 000 personnes parmi lesquelles figurent bien sûr des personnes âgées et des résidents d'Ehpad. Notre philosophie consiste à choisir une population, à objectiver ses besoins de santé et à réfléchir ensemble aux moyens à mettre en place pour proposer des actions de prévention plus efficaces et de meilleurs parcours de soins. L'élaboration d'une « pyramide » des besoins de santé des personnes âgées, comme celles qui existent pour le diabète de type 2 ou l'insuffisance cardiaque, apparaît aujourd'hui comme une nécessité. Mais la façon de concevoir cet outil, les questions philosophiques et pratiques qu'il pose, dépassent largement mes compétences et doivent être éclairées par des spécialistes du sujet. Ils y sont prêts.