Dans le n° 41-février 2014  -  La relation d'aide  3823

Les larmes sont l'expression d'un besoin d'exister

"Ne pleurez plus", "allons, ça va aller", "ne vous inquiétez pas, je suis là", "Ce n'est pas grave, vous allez voir...". Nous sommes rarement à l'aise face à une personne qui pleure, d'autant plus si elle est âgée.

Nous avons légitimement envie de la soulager, et nous pensons qu'en faisant disparaître ses larmes nous l'aideront à aller mieux. Pourtant, nos mots d'encouragements sont souvent pauvres, et loin d'apporter à l'autre le soulagement escompté, ils peuvent être plus une manière de nous rassurer nous-même, une manière de nous faire croire que nous sommes utiles, qu'une aide véritable apportée à l'autre.

Les larmes en tant que telles ne sont pas mauvaises. Elles sont le signe extérieur d'une émotion intense, souvent une détresse intérieure, mais parfois aussi d'une grande joie. Si effectivement, elles accompagnent souvent le chagrin, nous les confondons parfois avec la tristesse, et ce n'est pas parce qu'elles ne se manifestent plus qu'il n'y a plus de chagrin! Notre époque a tendance, quand elles apparaissent, à vouloir les traiter comme un problème au point de recourir à la chimie pour les faire taire, en croyant soulager la personne: "vous savez, avec les médicaments je ne pleure plus, mais la peine elle est toujours là, au fond de moi... mais je suis seule avec mon chagrin silencieux".

Les larmes auront sans doute disparu, la détresse pourtant demeure, enfouie au plus profond de la personne, elle risque de ressurgir sous une autre forme, repli sur soi, agressivité, trouble du comportement.

Partager l'indicible

Nous avons tendance à sous-estimer la valeur des larmes: elles sont pourtant l'expression d'un besoin impérieux de se soulager, de vider son coeur, de partager à une oreille attentive ce qui envahit l'âme et déchire le coeur. Elles sont le signe que la personne à envie d'aller mieux, qu'au fond d'elle, elle est prête à partager l'indicible, à oser livrer ce qui fait mal pour s'en soulager. Dans le travail de deuil, l'étape des larmes est celle qui précède la phase d'apaisement. La seule condition: les laisser exister. Il n'est pas pathologique de pleurer, c'est un signe de bonne santé mentale!

Les personnes ont souvent de bonnes raisons de pleurer; parfois, elles ont tellement retenu leurs larmes depuis des années, que c'est pour une broutille, un événement anodin, que les digues du coeur lâchent. Loin d'être l'expression de l'aggravation d'un état dépressif, elles doivent résonner comme un appel: l'expression d'un lâcher prise, du besoin d'une main tendue et d'une oreille attentive, d'un désir de passer à autre chose.

"Les pleurs nettoient, pansent les blessures. La terre asséchée, une fois humidifiée, se laisse transformer. (...) Empêcher (quelqu'un) de pleurer, (...) c'est le pousser à devenir indélicat"

Il pourrait paraître curieux que les larmes de la personne âgée puissent générer des attitudes contradictoires chez les professionnels du prendre soin: envie d'écouter et de faire taire l'autre, envie de prendre au sérieux son chagrin tout en le relativisant, envie de s'arrêter auprès de l'autre et de fuir la situation. Ces ambivalences sont normales: on se sent toujours plus ou moins responsable des larmes de l'autre, même si elles ne nous appartiennent pas. Sans doute parce qu'elles nous renvoient à nos impuissances à le sauver, à notre impossibilité d'apporter des solutions ou de donner la parole qui soulage.

Sans doute aussi parce que la personne qui pleure, nous renvoie, comme en miroir à nos propres fragilités, à nos blessures cachées, particulièrement à celles que nous avons du mal à assumer.

"Je ne suis pas qu'un objet de soin"

Sans doute enfin parce que la personne qui ne cache pas ses larmes nous rappelle qu'il y a des moments dans la vie où nous ne pouvons pas tout maîtriser.

Dans un univers trop souvent régit par les protocoles et les normes de toutes sortes qui ne laissent finalement que peu de place à l'imprévu, les larmes des personnes sont peut-être aussi une manière de sonner l'alarme, une manière de dire "je ne suis pas qu'un objet de soin, je ne suis pas qu'une chambre à nettoyer, je ne suis pas un protocole". Elle nous renvoie parfois comme une claque, qu'avant d'être une organisation millimétrée et calibrée à la minute près, le travail de soin est un travail d'accompagnement qui demande de l'attention et de la présence à l'autre, ce qui convenons-en, ne rentre pas beaucoup dans les critères qui déterminent les ratios de personnel soignant.

Ecouter la personne qui pleure n'est pas une perte de temps. C'est du temps de gagné, car cela évite d'autres pertes de temps. Les larmes sont l'expression d'un besoin d'exister aux yeux de l'autre. Si elles ne sont pas entendues, ce besoin d'exister risque de se déplacer ailleurs, dans des symptômes qui au final mobiliseront le temps et l'énergie des équipes. Les coups de sonnettes à répétition, les plaintes somatiques, les propos agressifs, les demandes impossibles sont autant de manières inconscientes que développe une personne pour se débarrasser de larmes silencieuses qu'elle s'est parfois elle-même interdite de verser.

Ecouter ne nécessite pas forcément beaucoup de temps: il exige de la disponibilité intérieure, l'acceptation, par l'écoutant, de ses propres limites et fragilités.

"Je vous remercie, ça fait du bien de pleurer; je me sens mieux". Exprimer sa peine, oser partager ses larmes est un acte beaucoup plus courageux qu'on ne l'imagine: c'est un cadeau que nous fait la personne. Elle nous offre un peu d'elle-même, elle nous confie une part de son intimité. Elle ose faire confiance en notre capacité à la respecter et à ne pas nous approprier ce qui ne nous appartient pas.

Le poète John Lance Cheney écrivait que "L'âme n'aurait pas d'arc en ciel si les yeux n'avaient pas de larmes". Sommes-nous suffisamment reconnaissant vis-à-vis de ceux qui nous font l'honneur d'être, l'espace d'un instant, les peintres de leur âme?

Yves Clercq

Psychologue, consultant

Responsable de formation "IDERCO"

ICFS MESLAY

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