Maladie, peur partagée de la contamination, personnes âgées privées des visites de leur famille ou de bénévoles mais aussi des discussions avec leurs voisins de table et des animations qui rythment leur quotidien, soignants et personnels en premiers de tranchée... La situation des Ehpad à l'heure du Covid-19 et du confinement est connue, l'humanité qui continue de s'y manifester aussi. Irremplaçable. Mais la résilience peut aussi emprunter la voie des nouvelles technologies de communication, avec un objectif cardinal : la lutte contre l'isolement. Le foisonnement inventif que l'on constate en atteste.

Fini le « technoscepticisme » ? Il y a moins d'un an*, Jean-Pierre Aquino, secre?taire ge?ne?ral de la Société française de gériatrie et de gérontologie et Marc Bourquin, conseiller stratégie à la Fédération hospitalière de France, évoquaient ce frein dans un rapport sur « Les innovations numériques et technologiques dans les établissements et services pour personnes âgées » commandé par la filière Silver économie. Ils disaient aussi la difficulté du passage à l'échelle de nombreuses start-up faute de soutien, bancaire notamment. Tous deux appelaient les pouvoirs publics à développer massivement les nouvelles technologies au service du grand âge. Quelques semaines plus tard**, le Think tank Matières grises et Capgemini Invent enfonçaient le clou dans une étude intitulée « Grand âge et numérique : objectifs 2030 »**, avec une lecture des enjeux entre opportunités et retards... Qu'on peut aujourd'hui inverser en retards et opportunités...

Moteur d'inventivité

L'épidémie se révèlera-t-elle un moteur d'inventivité ? Sur le terrain, tablettes, smartphones, outils banals du « dehors », font une entrée remarquée dans les Ehpad et de nombreuses initiatives éclosent d'entreprises installées, rodées dans le domaine du grand âge... ou pas aussi bien que de start-up qui trouvent là un vaste laboratoire expérimental pour leur innovation. Impossible d'en faire un tour exhaustif, juste quelques exemples.

La solution de communication Familizz qui permet aux établissements et services d'adresser aux familles du contenu sur la vie quotidienne de leur proche est déjà bien implantée dans le secteur du grand âge, un millier de structures à ce jour. « Nous avons connu une forte progression en 2019, avec le mouvement social et des articles de presse souvent à charge, explique Thierry Schmitt, cofondateur. Les Ehpad ont éprouvé le besoin de regagner la confiance du public et compris qu'il fallait montrer aux familles le rôle et l'engagement quotidien des personnels pour le bien-être des résidents ». De donner à voir. En cette période de confinement, d'autres fonctionnalités ont été ajoutées : les familles peuvent « booker » un créneau horaire pour s'adresser à leur parent, leur envoyer des messages vidéos en différé ou bien des cartes postales numériques.

Dans le même esprit, l'application Linestie permet de partager des photos, des informations, des documents à l'ensemble des familles des re?sidents, avec messagerie et possibilité d'impression de messages. Citée comme Familizz dans l'annuaire Silver éco du rapport Guedj, cette application a pour vocation d'aider les établissements à maintenir les liens sociaux et familiaux de leurs résidents (offerte le temps du confinement).

D'autres Ehpad font aussi le pari d'une communication collective, mais autrement. Ainsi, à Poitiers, le centre communal d'action sociale s'est-il fait aider par les services de communication interne et externe de la mairie pour ouvrir un groupe privé Facebook des quatre résidences autonomie et deux Ehpad qu'il gère. Un outil de communication de plus avec les familles, une véritable fenêtre ouverte sur les établissements. A titre individuel, des tablettes ont été réparties dans chacun des établissements pour que les résidents qui le peuvent, puissent échanger par Whatsapp et Skype.

Le problème de la prise en main

Mais cette utilisation individuelle se heurte à des obstacles, et pas seulement chez les personnes âgées atteintes de troubles cognitifs.

Le site de produits électroniques reconditionnés, Certideal, l'a compris. Il a certes décidé l'envoi de smartphones et de tablettes à des Ehpad. Mais pas que. « Offrir des appareils aux personnes âgées est une chose mais les aider à les utiliser en est une autre, c'est même la clé essentielle pour rompre cet isolement » constate Laure Cohen, co-fondatrice de Certideal. Comprendre les fonctionnalités de son appareil, prendre en main Skype, Facetime, Whatsapp, régler sa caméra interne, télécharger des applications, Certideal a mis en place une hotline gratuite pour les aider : « Nous voulons également que notre initiative soulage le personnel des Ehpad souvent sollicité par les occupants pour apporter cette aide technologique », souligne-t-elle.

La prise en main est, en effet, un écueil important pour la pleine utilisation des ressources de la silver tech. Et il faut une aide, au moins au départ, même pour les applications les plus simples.

C'est le cas de Tab'Lucioles, une application gratuite conçue par le réseau associatif Lucioles (handicap mental sévère), après plusieurs années de travail, pour cultiver de manière simple les liens entre les personnes handicapées en grande dépendance et les personnes âgées en perte d'autonomie et leurs familles. Et les professionnels aussi. « En temps normal, Tab'Lucioles peut e^tre employe?e par les professionnels pour favoriser un accompagnement individualise?, encourager les échanges, la motricité, l'ouverture, le dialogue autour des photos... » ajoute Jean-Marie Lacau, directeur du réseau, en se projetant à demain.

La télémédecine aussi

Le conseil départemental de Seine et Marne a distribué en avril deux tablettes à chacun des 115 Ehpad de son territoire, l'une fonctionnant en wi-fi, dédiée aux relations entre les résidents d'Ehpad et leurs proches ; l'autre, en 4G, appelée à mettre en oeuvre une télémédecine innovante en lien avec les filières gériatriques du département et le Samu 77.

Le dispositif lancé par l'agence régionale de santé (ARS) Ile-de-France s'appuie sur sa plateforme de téléconsultations Ortif. Les personnels de santé des Ehpad peuvent ainsi être mis en relation avec un médecin de l'astreinte gériatrique pour une téléconsultation via tablette numérique. En cas d'urgence, elle se déclenchera par appel au Samu.

« Ce nouveau dispositif, qui s'appuie sur "Filgeria" un dossier partagé du patient, permettra d'améliorer la prise en charge des résidents d'Ehpad, explique Hélène Marie, directrice de la délégation départementale de l'ARS 77. C'est un outil précieux pour les personnels de ces établissements, notamment la nuit, en l'absence de médecin sur place »

Patrick Septiers, président du conseil départemental se réjouit de « cette collaboration avec l'ARS, qui avait débuté avant la crise sanitaire » en prenant « toute la mesure des difficultés rencontrées aujourd'hui dans les Ehpad ».