Entretien avec Sandra Bertezene, professeur du CNAM, titulaire de chaire de Gestion des services de santé.
La résilience organisationnelle des hôpitaux est-elle en danger ?
« Durant la première vague de Covid-19, les hôpitaux de première ligne, tout comme les Ehpad, ont absorbé le choc en adoptant une organisation en adéquation avec le nouvel environnement. En somme, ils ont fait preuve de résilience organisationnelle grâce à différentes actions au bénéfice des patients et des résidents : attention particulière aux problèmes afin d'assurer une solution rapide en articulant routines et innovations ; raisonnements simplistes repoussés au profit d'une vision complexe du phénomène : financements supplémentaires, accueil de la réserve sanitaire, mobilisation du secteur privé, etc. ; écoute accrue du terrain, par exemple avec la mise à jour régulière des fiches réponses rapides par la Haute Autorité de santé (HAS) grâce aux données remontées tous les jours par les médecins ; respect des expertises de chacun : le fait que les ARS aient laissé toute autonomie aux établissements pour faire face à la situation en est un exemple majeur.
Ce type d'initiatives n'est plus d'actualité depuis la deuxième vague, ce qui affecte la résilience alors même que la pandémie se poursuit. Sur le plan épistémologique, les équipes ne disposent pas de méthode de travail permettant d'appréhender l'incertitude instaurée par le virus. Celle-ci ne peut pas être quantifiée, il est impossible d'en prévoir l'issue, elle crée une instabilité constante à laquelle la gestion des risques ne peut pas répondre. Sur le plan organisationnel, les problèmes sont ceux observés avant la pandémie. Exacerbés sous l'effet de la crise, ils affectent la sensibilité à l'incertitude et donc la capacité de résilience :
- Des cloisonnements excessifs qui entravent les collaborations ;
- De faibles retours sur les événements graves associés aux soins en raison d'un manque de culture de la sécurité ;
- Des systèmes d'information défaillants(1) qui rendent difficile le pilotage des activités ;
- Un manque de mobilisation d'un slack, c'est-à-dire d'un stock de ressources disponibles non pas pour atteindre le résultat prévu, mais pour maintenir l'activité durablement en dépit de la crise (contrairement aux déprogrammations récurrentes par exemple) ;
- Des difficultés à recruter des professionnels en raison de carrières peu attractives, de conditions de travail difficiles et désormais de l'épuisement en raison de la pandémie ;
- Des tensions financières, notamment parce que la tarification à l'activité vise essentiellement les temps directement productifs (liés aux soins, etc.), négligeant la création de potentiel à moyen-long terme née des efforts réalisés pour assurer la résilience organisationnelle.
Ces différents obstacles sont des défis à relever. Ils ouvrent des perspectives pour une meilleure appréhension de l'incertitude et le maintien d'un haut niveau de sécurité et de qualité des soins grâce à la résilience organisationnelle. Ceci est d'autant plus intéressant que la résilience devient, de façon rétroactive, un puissant levier en faveur de l'engagement des professionnels et de création de sens au travail. Cette question est au coeur d'Innovations & management des structures de santé en France, un ouvrage de référence dans lequel 54 auteurs proposent des alternatives pertinentes pour accompagner la transformation de l'offre de soins dans un monde incertain (LEH Édition, octobre 2021). »