Alors que de nombreux hôpitaux utilisent de moins en moins de désinfectants et de détergents pour l'entretien de leurs locaux (blocs opératoires compris), les EHPAD ont encore la main lourde sur les biocides, y compris hors des périodes d'épidémies. Une chasse aux microbes et bactéries inutile et néfaste qui impacte l'environnement, la santé du personnel et le budget des structures.
Halte à la désinfection à tout-va !
Sensibles à la protection de l'environnement, le Dr Philippe Carenco, médecin hygiéniste au Centre hospitalier d'Hyères et Noël Lecerf, biologiste de formation et dirigeant du cabinet Hygiène Formation Conseil sont deux grands militants en faveur de l'usage raisonné des détergents et désinfectants dans les établissements sanitaires et médico-sociaux. Retour avec ces deux experts sur quelques idées reçues au sujet du nettoyage des locaux en EHPAD.
Si ça sent bon, c'est que c'est propre.
FAUX.« Le propre n'a pas d'odeur », soulignent de concert le Dr Philippe Carenco et Noël Lecerf. Ce dernier rappelle que la « La France est le deuxième pays le plus consommateur de Javel au monde après l'Espagne ».
Les résidents en EHPAD sont des personnes fragiles, il faut donc désinfecter leur environnement.
FAUX. « Le risque infectieux lié à l'environnement d'un résident en établissement médico-social ne peut être comparé à celui d'un patient hospitalisé car la flore environnementale est plus stable. En EHPAD, la rotation des personnes hébergées n'est pas la même que celle d'un hôpital. L'EHPAD est un lieu de vie permanent dans lequel il n'y a pas nécessairement de maladies infectieuses. L'entretien, en routine, des locaux, des chambres ne nécessite pas de désinfection », explique le Dr Carenco. « Il faut arrêter de médicaliser le nettoyage en EHPAD. La grande majorité des résidents sont des personnes qui sont dépendantes, polypathologiques mais qui ne sont pas malades cliniquement sur le plan infectieux. Il n'y a pas de raison d'utiliser des désinfectants pour traiter leur environnement, hors périodes d'épidémies dans l'établissement. On n'a pas besoin de vouloir tuer les microbes à tout prix, d'autant plus que la plupart sont indispensables. C'est uniquement dans le cas d'une épidémie ou d'une pathologie à risque de dispersion chez un résident que l'EHPAD doit mettre en place des mesures complémentaires de désinfection des locaux », insiste Noël Lecerf.
Trop de désinfection peut devenir un obstacle à la propreté.
VRAI. « Les produits de désinfection ont pour inconvénient de s'accumuler en couches successives (chimio film et biofilm), ce qui devient un obstacle à la propreté et à l'hygiène », explique le Dr Carenco.
L'usage excessif de biocides est à l'origine de maladies professionnelles chez le personnel de soin et d'entretien.
VRAI. « Les produits biocides entrant dans la composition des détergents désinfectants comme des désinfectants sont des molécules très réactives, irritantes et potentiellement sensibilisantes. L'usage des biocides expose le personnel de soin et d'entretien à de l'asthme professionnel, des dermatites de contact, des conjonctives et des rhinites », indique le Dr Carenco. « La prévention porte parallèlement sur la formation, l'information et l'éducation des salariés, sur le remplacement de produits très irritants et sur la suppression des applications par pulvérisation chaque fois que possible », rappelle l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
La désinfection des sols est plus efficace qu'un nettoyage au détergent régulier.
FAUX. « La désinfection est une action au résultat momentané qui n'agit que sur les micro organismes présents au moment de l'opération et a peu ou pas d'impact sur la présence d'infections associées aux soins. Quel que soit le produit biocide utilisé, on retrouve le même niveau de contamination des sols deux heures après. Les sols sont rapidement réensemencés par les micro-organismes de l'air et ceux qui sont transférés à partir de chaussures, des roues de chariots, et provenant des individus. Un simple nettoyage des sols au détergent suffit à retirer 80% des bactéries », explique Noël Lecerf.
L'usage excessif de biocides contribue à l'antibiorésistance.
VRAI. « Aujourd'hui on sait que les biocides ont un impact très important sur l'environnement mais surtout sur la résistance aux antibiotiques. L'antibiorésistance n'est pas uniquement le fruit de la sur-utilisation des antibiotiques, la résistance aux désinfectants entraîne également une résistance aux antibiotiques », met en garde Noël Lecerf.
Les solutions de nettoyage « zéro chimie » sont moins efficaces.
FAUX. « Herbert Sinner a décrit les quatre composantes d'une action de nettoyage (action mécanique, action chimique, action thermique, durée) sous la forme d'un cercle où chacune des composantes occupe une part variable. Le principe est le suivant : pour obtenir un même résultat, la diminution d'une composante doit être compensée par l'augmentation d'une autre. Ainsi, la réduction des produits chimiques doit être compensée par une augmentation de la part de l'action mécanique, ou celle du temps, ou celle de la chaleur, ou d'une combinaison de ces trois autres paramètres. Les textiles en microfibres, le nettoyage vapeur, les monobrosses à disques abrasifs, les auto-laveuses sans produits, laveuses à brosses rotatives sont donc autant d'alternatives aux désinfectants et aux détergents », détaille le Dr Carenco.