Dans le n° 89-février 2018  9714

De l'immortalité

Facile de parier qu'au cours de l'année 2018, il sera beaucoup question d'intelligence artificielle, de sécurité des données, de robot, d'homme augmenté et de transhumanisme... Nos sociétés fantasment sur les " nouvelles technologies ".

Il y a une vision prophétique de l'innovation qui donne à la technique un pouvoir sur la société. Comme si les innovations déterminaient notre futur et rendaient inéluctables les évolutions du monde. Une croyance dans le dieu de la nouvelle technologie qui réduirait les êtres humains au rang de spectateur. Une croyance dans l'inéluctabilité et le déterminisme de la science et de l'innovation. Une croyance dans la toute puissance de la technologie sur les hommes, petits et misérables.

Rappelons d'abord (c'est toujours utile en ces temps où la laïcité est oubliée ou incomprise) qu'une croyance n'est pas un fait, ni une vérité. C'est dans le meilleur des cas une hypothèse, un pari disait Pascal, ou un dogme qui ne souffre alors d'aucune contestation, critique ou mise en cause. Dans certains pays, ne pas être croyant est puni de mort.

Le culte du nouveau monde

Remarquons aussi combien nos sociétés post modernes sont toutes entières inscrites dans le futur : ll faut être innovant, nouveau, jeune... Demain doit être mieux qu'aujourd'hui. Il faut être progressiste, du nouveau monde... Le risque majeur pour un individu d'aujourd'hui serait d'être dépassé par son temps ! Et être de son temps c'est déjà être en retard... sur ceux qui veulent à toute force être en avance... Lorsque Baudrillard a publié en 1979 La condition post moderne , il pointait la fin des grands discours, des grands mythes, des grandes croyances. Le penseur s'est malheureusement trompé... Dans notre société de défiance envers les grandes institutions démocratiques, la croyance n'a pas abdiqué. En tout cas, pas dans toute la société. Par ailleurs, sur un plan général, elle reste forte par rapport aux innovations. Même si une partie de la population s'en inquiète, y voit d'abord les risques pour l'emploi, la liberté individuelle ou l'environnement.

L'immortalité en ligne de mire

Dans cette optique, certains imaginent déjà que nous pourrons vivre 1 000 ans. Ils célèbrent l'homme augmenté qui grâce à la manipulation génétique des embryons ou aux implants intracérébraux pourront penser plus vite, et qui par l'ajout de capacités physiques et de régénération d'organes être plus fort et vivre indéfiniment. Le but ultime de la puissance serait atteint : l'immortalité. Michel de Certeau, dans L'invention du quotidien , signalait que la technologie devait nous faire oublier la maladie, la faiblesse et la mort. L'immortalité pose de nombreuses questions : quid de la sélection entre ceux qui vivront toujours et les autres ? Comment penser la procréation ? Est-ce possible de vivre 1 000 ans sans s'ennuyer ? Comment éviter la procrastination généralisée ? Et j'en passe...

L'homme augmenté n'est pas une nouveauté (les verres correcteurs ont été inventés au 13ème siècle) mais là il s'agirait que l'être, avec ses complexités, et le corps soient remplacés par une combinaison de machines et de solutions technologiques programmées. Il s'agirait que l'âme se réduise à une suite d'algorithmes. L'humain vivrait mille ans mais ce ne serait plus l'humanité. Mais confiance, l'être humain ne se laisse pas faire, il aime à braconner (une formule utilisée aussi par de Certeau), à serpenter, à se jouer des figures imposées... Les derniers de cordées sont majoritaires et n'ont pas dit leurs derniers mots...

Serge Guérin

Sociologue, Professeur à l'Inseec, ou il dirige le MSc " Directeurs des établissements de santé ". Dernier livre " La guerre des générations aura-t-elle lieu ? " chez Calmann-Levy

01/04/2024  - Partie III

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Dans les deux précédentes contributions autour de la valorisation des métiers de l'accompagnement des aînés les plus fragiles, nous évoquions les questions de management et d'évolution sociologique des manières d'aborder la vie professionnelle. Mais l'enjeu est aussi de repenser le fonctionnement administratif.
01/04/2024  - Chronique

Un café dans mon Ehpad!

Madeleine de Proust d'une France de carte postale, le café de village constitue souvent le seul lieu de rencontre et d'échange alors même que selon l'INSEE, 62 % des communes ne disposent plus d'aucun commerce.
01/04/2024  - Billet

Salut Richard

C'était d'abord une voix forte. Qui ouvrait des voies. Celles qu'il a défendues tout au long de sa carrière. Brillant et apprécié pour ses redoutables compétences lors des débats car travaillées constamment, méthodiquement, désintéressées et reconnues.  ...
01/03/2024  - Billet

Réjouissant de bon sens

Si j'étais taquin, j'aurais pu dire « décoiffant de bon sens ». Et Serge Guérin aurait su apprécier.  ...
01/03/2024  - Partie II

Pas de société de la longévité sans volonté de valoriser les métiers du care

Le vieillissement de la population implique de valoriser, d'accompagner et mieux rétribuer les professionnels de l'accompagnement des personnes fragiles. Une grande partie des métiers que l'on disait de vocation et qui relèvent aujourd'hui plutôt de l'engagement, pour éviter la notion religieuse et de sacrifice, ne trouvent plus preneurs.
01/02/2024  - Billet

L'espoir est dans la proximité

Bon, c'est désormais compris. Mais il en aura fallu du temps. Une grande majorité d'âgés veulent rester chez eux. Bien évidemment, la prise en compte de cette volonté n'était pas simple à structurer. Surtout lorsqu'on a fait le choix depuis des dizaines d'années d'un autre modèle reposant quasi exclusivement sur « l'établissement », par dogme ou conviction sincère, en particulier depuis 2003 et la grande canicule qui a traumatisé familles et politiques. ...
01/02/2024  - Partie I

Pas de société de la longévité sans valoriser les métiers du care

Répondre aux enjeux du vieillissement passera par la mise en oeuvre d'une société du care où l'accompagnement bienveillant et mutuel peut contribuer à sortir de la fragilité et aider chacun à devenir auteur de sa vie.
01/12/2023  - Billet

Vulnérables et capables

Fêter une ou un centenaire dans un établissement n'est plus une exception. Tant mieux. Pour autant, doit-on ne voir de cet âge, si souvent associé à une certaine déchéance, que cette facette festive et considérée comme une performance, accompagnée le plus souvent par les autorités et les médias locaux ? Il est d'autres réflexions qu'il faut considérer. Anne-Solen Kerdraon (théologienne à l'Institut catholique de Paris), dont le nom ne vous vient pas spontanément à l'esprit, évoque lors d'un échange (avec Clotilde Hamon, journaliste pour Famille chrétienne) cette séquence de la vie dont le philosophe Paul Ricoeur soulignait déjà ces deux particularités humaines : vulnérable et capable. ...
01/12/2023  - Partie II

Les «Fractures françaises» sont-elles une affaire d'âge?

À partir de l'étude « Fractures françaises », réalisée par Ipsos pour le Cevipof-Sc Po, nous avions le mois dernier constaté que les retraités sont plutôt plus confiants dans les institutions de la société que le reste de la population. Il apparaissait aussi que le critère social était bien plus prégnant que le fait générationnel pour expliquer les différences de ressentis.